
Ali et Ouali
Ali et Ouali étaient deux amis. Un jour, ils se rencontrèrent au marché. L’un portait de la cendre, l’autre des crottes de mulet. Le premier avait recouvert sa marchandise avec un peu de farine, l’autre avait caché la sienne sous des figues noires.
« Viens, je te vendrai de la farine, » dit Ali. — « Viens, je te vendrai des figues noires, » répondit Ouali.
Chacun regagna sa maison ; Ali, qui croyait apporter de la farine, trouva, en vidant son sac, que c’était de la cendre ; Ouali, qui croyait porter des figues noires, trouva, en vidant son sac, que c’étaient des crottes de mulet.
Un autre jour, ils s’accostèrent de nouveau au marché. Ali sourit et dit à son ami : « Pour l’amour de Dieu, quel est ton nom ? » — « Ali, et le tien? » — « Ouali ». Une autre fois, ils cheminaient ensemble et se dirent : « Allons voler. » L’un vola un mulet, l’autre un tapis.
Ils passèrent la nuit dans la forêt. Or, comme la neige tombait, Ali dit à Ouali : « Cède-moi un bout de ton tapis pour me couvrir. » Ouali refusa : « Tu t’en souviens, ajouta-t-il, je t’ai demandé de mettre mon tapis sur ton mulet et tu n’as pas voulu. » Un instant après, Ali coupa un morceau du tapis, car il mourait de froid ; Ouali se leva et coupa les babines du mulet. Le lendemain matin, à leur réveil, Ouali dit à Ali : « O mon cher, ton mulet sourit. » — « O mon cher, répliqua Ali, les rats ont rongé ton tapis. » Et ils se séparèrent.
Quelque temps après, ils se rencontrèrent de nouveau. Ali dit à Ouali : « Allons voler. » Ils virent un paysan qui labourait. L’un d’eux se rendit au ruisseau voisin pour y laver son burnous, il le trouva à sec. Il disposa la lame de son sabre de manière à lui faire réfléchir les rayons du soleil, et commença à battre son burnous avec ses mains. Le laboureur vint aussi au ruisseau et trouva notre homme qui lavait sans eau : « Que Dieu t’extermine, lui dit-il, toi qui laves sans eau. » — « Que Dieu t’extermine, répondit le laveur, toi qui laboures avec un seul bœuf. » L’autre voleur guettait le laboureur et lui avait déjà enlevé un bœuf. Le laboureur regagna sa charrue et dit au laveur : « Garde-moi ce bœuf tandis que j’irai à la recherche de l’autre. » Dès qu’il fut hors de vue, le voleur emmena le bœuf. Le laboureur revint, et, saisissant l’aiguillon par un bout, il en donna un grand coup sur le bras de la charrue en s’écriant : « Brise-toi maintenant, peu importe. »
Les voleurs se rencontrèrent dans un bois et égorgèrent les bœufs. Le sel venant à manquer, ils allèrent en acheter. Ils salèrent leur viande, la firent rôtir et en mangèrent. Ali découvrit une source. Ouali ne pouvant trouver de l’eau mourait de soif : « Montre-moi ton eau, dit-il à Ali, je boirai. » — « Mange du sel, mon cher, » répondit Ali.
Que faire ? Quelques jours après, Ouali déposa de la cendre sur les souliers d’Ali. Le lendemain, il suivit les traces de la cendre, il arriva à la source et découvrit ainsi l’eau que buvait son ami. Il prit la peau de l’un des bœufs et l’apporta à la fontaine. Il planta deux bâtons au-dessus de l’eau, dressa la peau sur les bâtons et disposa les cornes du bœuf en face du chemin. Durant la nuit, son ami se dirigea vers la source ; à la vue de la peau ainsi étendue, la peur le saisit et il s’enfuit.
« J’ai soif, » dit Ouali. « Mange du sel, mon cher, répondit Ali, le sel ôte la soif. » Ali se retira, et, après avoir mangé, courut examiner la peau qu’il avait étendue. Ouali mangeait du sel et mourait de soif. « Pour l’amour de Dieu, dit-il enfin, montre-moi où tu bois. » Ali était vengé. « Viens, figure de Juif, je te montrerai de l’eau. » Il le fit boire à la source et lui dit : « Voilà ce dont tu avais peur. » La viande étant achevée, ils partirent.
Ouali alla chez Ali et lui dit : « Viens, nous te marierons avec la fille d’une vieille femme. » Or, la vieille avait un troupeau de bœufs. Elle dit à Ali : « Mène ce troupeau aux champs et monte sur une des bêtes. » Ali monta sur un des bœufs, il tomba à terre, les bœufs se mirent à courir et le piétinèrent. Ouali, qui était resté à la maison, dit à la vieille : « O ma vieille, donne-moi ta fille en mariage. » Celle-ci appela sa fille : « Prends un gourdin, lui dit-elle, nous lui en donnerons jusqu’à ce qu’il crie merci. » La fille apporta un gourdin et administra à Ouali une rude bastonnade.
Ali, qui gardait le troupeau, revint à la tombée de la nuit et rencontra son ami. « La vieille a-t-elle accepté? » lui demanda-t-il. « Elle a accepté, répondit Ouali; et le troupeau est-il facile à garder? » — « Du matin au soir, je n’ai eu qu’à me reposer; prends ma place demain, tu monteras sur l’un des bœufs. » Le lendemain, Ouali dit à la vieille : « Aujourd’hui ce sera moi qui mènerai le troupeau. » Et, en partant, il recommanda à Ali de demander à la vieille la main de sa fille. « C’est bien, répondit Ali. » Ouali arriva aux champs, un des bœufs le saisit avec ses cornes, et le lança en l’air ; tous les autres firent de même, il regagna la maison à moitié mort. Ali, qui était resté à la maison, demanda à la vieille la main de sa fille : « Tu me la demandes encore, » dit-elle. Elle apporta son gourdin et lui en donna jusqu’à ce qu’il en eût assez.
Ouali dit à Ali : « Tu m’as joué un tour. » Ali lui répondit : « Sans doute, elles m’ont donné tellement du bâton, que je n’ai pas entendu le dernier coup. » — « C’est bien, mon cher. Ali ne doit rien à Ouali. » Ils partirent. La vieille femme possédait un trésor, Ouali dit donc à Ali : « Je te mettrai dans un panier, car tu sais que nous avons vu le trésor dans un trou. »
Ils reviennent chez la vieille. Ali descend dans le trou, prend le trésor et le met dans le panier. Ouali tire le panier, l’emporte, abandonne son ami devenu prisonnier, et court cacher le trésor dans la forêt. Ali était dans l’embarras, car il ne savait comment sortir. Que faire ? Il grimpa le long des parois du trou. Quand il se trouva dans la maison, il en ouvrit la porte et s’enfuit. Arrivé au bord de la forêt, il se mit à bêler. Ouali, croyant trouver une brebis, accourut. C’était son ami. « Oh, mon cher, s’écria Ali, je t’ai enfin trouvé ! Dieu soit béni ; maintenant portons notre trésor. »
Ils se mirent en marche. Ouali, qui avait une sœur, dit à Ali : « Allons chez ma sœur. » Ils y arrivèrent à la tombée de la nuit. Celle-ci les reçut avec joie. Son frère lui dit : « Prépare-nous des crêpes et des œufs. » Elle prépara des crêpes et des œufs, et les leur servit. « O ma sœur, s’écria Ouali, mon ami n’aime pas les œufs ; apporte-nous de l’eau. » Elle alla chercher de l’eau. Dès qu’elle fut sortie, Ali prit un œuf et le mit dans sa bouche. Quand la femme rentra, il faisait de tels efforts pour le rendre qu’il en était tout essoufflé. Le repas était terminé et Ali n’avait encore rien mangé.
Ouali dit à sa sœur : « O ma sœur, mon ami se trouve mal, apporte-moi une broche. » Elle lui apporta une broche qu’il mit au feu ; quand la broche fut devenue rouge, Ouali la saisit et l’appliqua sur la joue d’Ali. Celui-ci poussa un cri et rejeta l’œuf : « Vraiment, dit la femme, tu n’aimes pas les œufs ! »
Les deux amis partirent et arrivèrent dans un village : « Allons chez ma sœur, » dit Ali à son ami. Elle les reçut à bras ouverts. Ali lui dit : « O ma sœur, prépare-nous du gros couscous. » Ils se mirent à table à la tombée de la nuit et celle-ci leur servit à manger : « O ma sœur, s’écria Ali, mon ami Ouali n’aime pas le gros couscous. » Ali mangea seul. Quand il fut rassasié, les deux amis partirent sans oublier le trésor.
Chemin faisant, Ali dit à Ouali : « Donne-le-moi aujourd’hui, je le déposerai dans ma maison. » Il l’emporta et le remit à sa femme. « Enterre-moi, lui dit-il, si Ouali vient, dis-lui que son ami est mort, reçois-le en pleurant. » Ouali arriva, et demanda à la femme en pleurs de voir le tombeau de son ami défunt. Il prit une corne de bœuf et se mit à creuser la terre, qui recouvrait le corps. « Arrière, arrière, » s’écria le prétendu mort. « Lève-toi donc, menteur, » répondit Ouali. Ils sortirent ensemble. « Donne-moi le trésor, demanda Ouali, aujourd’hui je le porterai à ma maison. » Il le porta à sa maison et dit à sa femme : « Prends ce trésor, je vais m’étendre comme si j’étais mort. Quand Ali arrivera, reçois-le en pleurant et dis-lui : « Ton ami est mort, il est étendu dans la chambre à coucher. »
Ali vint et répondit à la femme : « Prépare-moi de l’eau bouillante, car ton mari m’a recommandé de le laver quand il serait mort. » Quand l’eau fut prête, la femme l’apporta. Ali saisit la marmite et la versa sur le ventre d’Ouali qui se leva d’un bond. Il en fut quitte pour avoir le ventre brûlé. Les deux amis se partagèrent le trésor et Ali revint à sa maison.
Texte de J. Rivière « Recueil de contes populaires de la Kabylie du Djurdjura »