Ali Le Mulet (Ali Asard’oun)

16 octobre 2015

Asard’oun prépare un bûcher. Il le met dessus et allume le feu, en présence de ses frères et de sa sœur. Ce soir-là, un mouton est égorgé et du couscous mangé avec grand appétit par les anciens prisonniers, qui n’ont pas goûté à ce met délicieux depuis des années. Durant toute la nuit ils passent ensemble en revue, l’histoire de leur vie. ’’Amachahou rebbi ats iselhou ats ighzif anechth ousarou. (Que je vous conte une histoire. Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil). Aimer ses enfants jusqu’à accepter tous leurs caprices est la douloureuse expérience faite par un monarque dont nous allons vous raconter l’histoire, à travers ce récit du terroir.

Il était une fois un ’’ag’ellid’’ (roi) qui avait six garçons et une fille cadette âgée de dix ans. A l’occasion de sa vingtième année de règne, l’ag’ellid décrète des festivités à travers tout le royaume. Il voulait par cette mesure, remercier son peuple qui ne s’est jamais soulevé contre lui, pour revendiquer quoique ce soit. En ag’ellid averti, il avait su gouverner avec sagesse et fermeté. Il était aimé de tous ses sujets. Ses sept enfants l’aiment à la folie. Il les aime tant qu’il était capable de leur donner la prunelle de ses yeux. Pour marquer l’évènement, il appelle autour de lui sa femme et ses sept enfants. il leur dit qu’en ce jour béni, il n’avait rien à leur refuser. Tous leurs caprices seront exaucés. La reine demanda de nouveaux bijoux. Les jeunes princes demandèrent des chevaux de race et des épées ciselées d’or. Quand vint le tour de la jeune princesse, elle demanda ’’thiksiouth ichet’h’en ouadh’d’es’’ (la robe enchantée qui danse toute seule).

La jeune fille a entendu parler de cette robe et elle veut l’acquérir pour épater tout le monde à la cour. la demande insolite de sa fille intrigue l’ag’ellid, et se demande où pourrait-il lui dénicher une telle robe. Il est dans l’embarras, mais comme il avait promis de satisfaire les vœux de chacun, il ne voulait pas la chagriner en lui disant de choisir autre chose de plus facile à travers. Il lui sourit, et regrette au fond de lui-même d’avoir dit, qu’il pouvait satisfaire les désirs de tous. Il n’avait jamais songé que sa petite fille allait lui demander une robe enchantée que lui-même n’a jamais vue.

Le lendemain matin, il se rend incognito au grand marché de sa capitale. Il passe en revue tous les marchands de tissus, mais personne n’a pu répondre à ses questions. pour eux, ’’thiksiouth ichet’h’en ouahd’es’’ (robe enchantée) est une robe qui n’existe nulle part. Ce n’est pas la peine de la chercher. L’ag’ellid’ est mécontent, s’il ne trouve pas cette robe enchantée, cela va lui gâcher les festivités. En ce jour de joie, il ne veut pas rentrer bredouille chez soi. Après avoir vainement cherché et questionné des centaines de gens, il allait rentrer chez lui sans la robe enchantée. En cours de route il fut accosté par un inconnu qui l’a entendu questionner des marchands à propos de la robe enchantée. Il lui dit :

-Thiksiouth ichet’h’en ouah’d’es Ala nekini ist ik’esven ! (La robe qui danse toute seule il n’y a que moi qui la possède !)Cher monsieur si vous la posséder je vous l’achète à n’importe quel prix, bien que je sois déguisé, je suis le roi de ce pays.

-Je le sais majesté ! Mais cette robe n’a qu’un seul prix.

-Votre prix est le mien. Combien voulez-vous ?

-Je ne veux ni or, ni argent, mais uniquement la main de votre fille, celle qui désire la robe enchantée.

-Mais je ne peux vous la donner, ce n’est qu’une gamine de dix ans, pour elle le mariage est encore lointain.

-J’attendrai le moment opportun, j’attendrai encore dix ans s’il le faut !

Acculé le roi accepta le marché. L’inconnu lui ramena la robe enchantée avant qu’il ne rentre au palais. En la lui remettant, il lui dit :

-Dans dix ans, je viendrai prendre possession de ma fiancée. je viendrai un jour de vent, de froid, de pluie d’éclairs et d’orage. mon mot de passe sera celui des mendiants qui disent :

-Thine rebbi a lmoumnine (la part des pauvres ô croyants !) Quand tu entendras ces paroles, prononcées à la porte de ta demeure, tu enverras ma fiancée avec un plat pour me donner à manger.

L’affaire étant entendue, les deux hommes se quittent par une appréhension indicible pour l’ag’ellid’ et une joie immense pour l’inconnu qui vient de conclure une affaire en or. En rentrant au palais par une porte dérobée, l’ag’ellid’ est accueilli par sa petite fille qui ne lui laisse pas une seconde de répit.

-M’as-tu ramené la robe enchantée ? -Oui ma petite fille, je te l’ai ramenée. La voici !

La petite fille saute de joie, elle a en sa possession l’unique robe enchantée de la contrée. Elle est fière de sa robe aux reflets multicolores. Elle l’enfile aussitôt et demande aux membres de sa famille de battre la mesure. Comme par enchantement, la robe enchantée se met à frétiller et à se tortiller sur le corps de la petite fille qui ondule lui aussi. Tout le monde rit. la petite fille est comblée, elle rit aux éclats. Elle s’exhibe durant toute la soirée. Sa famille est heureuse. Seul son père est pensif et il a raison de l’être. Il sait que le prix à payer pour cette robe est trop lourd et cela lui pèse sur le cœur.

La robe enchantée n’est mise par sa fille que lors des cérémonies. Elle rend jalouse toutes les filles de son âge. Le compte à rebours a commencé, dans quelques mois, dix ans seront passés. L’ag’ellid’ frémit à l’idée de donner sa fille bien-aimée en pâture à un inconnu. Mais puisqu’il a donné son accord il ne peut se dérober. La princesse va avoir vingt ans et la robe enchantée lui va comme un gant. Elle suit l’épanouissement de son corps et embellit ses formes. Mais elle ignore que le prix à payer est trop fort et elle va bientôt payer de sa personne, la robe enchantée qu’elle a tant désirée.

Son père est dans tous ses états. Dès qu’il se met à pleuvoir, qu’il y a du vent, des éclairs du tonnerre, il se met à trembler de tous ses membres. le moment fatidique va bientôt arriver, il ne le sait que trop. Parfois il se dit que l’inconnu avec lequel il avait conclu le maudit marché est mort, car depuis qu’il lui a remis la robe enchantée, il ne s’est jamais manifesté. Au fur et à mesure que le temps s’égrène inexorablement, le roi est saisi d’effroi. L’angoisse lui étreint le cœur, il ne dort plus, se réveille la nuit en sursaut et parle tout seul comme un fou. la reine est intriguée par son attitude. Elle le questionne sur son état de santé, il lui dit qu’il va bien, il est seulement préoccupé par quelques affaires qu’il n’a pas encore réglées.

Il n’ose pas lui dire la terrible vérité. Il est seul à l’assumer. Une nuit, alors qu’il faisait très froid, un orage éclata, une pluie diluvienne tomba, les éclairs zébrèrent le ciel, et le tonnerre gronda. L’ag’ellid’ anxieux s’était éloigné de ses enfants qui dînaient, il regardait au dehors en son for intérieur, il se disait que la nuit tant redoutée est peut-être arrivée. Et c’était la triste réalité. A un certain moment, l’ag’ellid’ entendit une voix de plus en plus distincte et qui disait :

-Thine rebbi a lmoumnine ! (la part du pauvre ô croyants !)

Le roi frémit. C’était bel et bien le signal convenu avec l’inconnu depuis une dizaine d’années. Son cœur bat la chamade. Que faire ? Ne pas tenir parole, le tente un instant, mais il ne peut trahir son serment. C’est la mort dans l’âme qu’il appelle sa fille et lui dit :

-Il y a un pauvre mendiant dehors qui a faim et froid, sers-lui un plat et, va le lui ramener sur le champ.

-Pourquoi veux-tu que ce soit moi qui le lui amène père, je vais appeler une domestique c’est à elle de le faire.

-Non ma fille, j’insiste c’est à toi de le lui amener et je t’en prie ne discute pas !

La jeune fille prend le plat et va à la rencontre du mendiant. Intérieurement, elle maudit les gardes de faction qui ont laissé pénétrer ce miséreux dans l’enceinte de la demeure du souverain. Quand la princesse fut dehors, elle fut happée dans les airs par une étrange créature. Surprise, elle laissa tomber le plat de couscous garni de viande qui s’éparpilla sur le sol, et fit le bonheur des chats.

L’ag’ellid’ espérait le retour de sa fille, mais en vain. Il donna l’alerte et tout le monde se mit à la chercher, on ne retrouva que le plat brisé. On questionna les gardes, mais personne n’a vu quoi que ce soit. C’est étrange se dit le roi. Sa sécurité était-elle à ce point défaillante ? Si personne n’a vu ou entendu le mendiant, c’était grave. Mais comment les gardes pouvaient-ils voir l’étrange créature qui était en fait un ogre (ouaghzen). Ouaghzen a la faculté de se métamorphoser en n’importe quel personnage. Cette nuit-là, il était devenu un mendiant et lors de son entrevue avec le roi qui remonte à dix ans, il s’était métamorphosé en un homme de bonne foi. Telle est la terrible explication.

Tous les gardes sont mis à contribution pour rechercher la jeune princesse dans les moindres recoins du palais. Les recherches durèrent toute la nuit et toute la journée, mais aucune trace de la jeune fille. le roi dut se rendre à l’évidence, le marché qu’il a conclu il y a une dizaine d’année était un marché de dupes. La robe enchantée qui danse toute seule lui a coûté une princesse qu’il espérait marier à un prince, et la, voilà mariée sans tambours ni trompettes à un inconnu sans aucune cérémonie et dont il ne connaît pas l’identité. C’est la pire des choses qui pouvait lui arriver. Coupable de s’être laissé attendrir, l’ag’ellid’ a exaucé le vœu de sa fille, mais le prix à payer est trop lourd. Une jeune fille contre une robe enchantée, c’était trop cher payé. Mais il est désormais trop tard pour y remédier. Le roi, la reine, les frères et toute la famille royale sont inconsolables. La disparition dans des circonstances étranges de la jeune princesse a mis tout le monde en émoi. Si son cadavre avait été retrouvé, un deuil serait décrété, et les esprits se seraient calmés et apaisés, mais ce n’était pas le cas. Un seul connaît la vérité, le roi et il la cache au fond de lui.

Quelques années plus tard, l’aîné des six frères de la princesse disparue, alla à la source pour faire boire son cheval. Sur place il trouve ’’settoute’’ ( la sorcière) qui puise de l’eau avec un tamis. Avec véhémence il la somme de lui laisser abreuver son destrier. Mécontente, elle lui dit méchamment :

-Nek thzemredeh iyi Loukan d’argaz i thellith Ats rouh’edh ad aouidh Meskinte outma-k’enni Ig bbi ouaghzen d’eg idh Rouh’ nigha-k’ anfiyi (Tu t’attaques à moi, faible que je suis si tu étais un homme digne de ce nom tu serais allé chercher ta pauvre sœur que l’ogre a enlevé de nuit, laisse-moi tranquille je t’en prie !

Le jeune homme est ébranlé par une telle révélation. Il sait que sa sœur a disparu, mais pas enlevée par un ogre (ouaghzen). Il rentre dare-dare au palais et demande à sa mère de faire préparer par les domestiques une bouillie d’orge concassée ’’iouzane b-arkoul’’ ce dont la vieille ’’settoute’’ raffole. Il demande ensuite, qu’on la lui ramène. Dès qu’elle se prépare à manger, il lui plonge sa main dans la bouillie brûlante. Il ne la retirera qu’à la condition qu’elle lui indique la tanière de l’ogre. Devant la douleur ressentie, settoute ne se fait pas prier et lui dit :-Ouaghzen izd’agh D’eg lghar d’i thiz’’gi (L’ogre habite dans une grotte dans la forêt). la reine qui avait suivit la scène est intriguée par l’attitude de son fils aîné. Elle se rapproche de lui, et lui demande des explications. Ne voulant pas cacher son secret trop longtemps, son fils la met au courant des évènements.

-Chère mère, ta fille, notre sœur a été enlevée et demeure prisonnière de Ouaghzen (l’ogre).

La reine n’en croit pas ses oreilles. Tout à coup, l’espoir de revoir sa fille lui redonne un regain d’énergie. Elle court avertir le roi, et ameute ses autres fils et tous les proches à la fois. Tout le monde est heureux, même le roi, mais au fond de lui-même, il se sent attristé, lâche, vil de n’avoir rien dit, rien révélé.

Au palais, désormais c’est le branle-bas de combat. les six princes veulent partir sur le champ pour en découdre avec ouaghzen, qui a enlevé leur sœur. leur père leur demande de prendre avec eux des soldats mais ils n’en veulent pas. Ils veulent laver l’affront dans le sang, sans l’aide de personne, c’est une question de dignité. Pour leur sœur enlevée, ils sont prêts à affronter les pires dangers. Ils harnachent leurs chevaux s’arment de leurs épées et se lancent à l’aventure vers la forêt que Settoute leur a désignée.

Après avoir chevauché durant plusieurs heures, ils arrivent enfin en vue de la forêt. Sur leur passage, ils rencontrent un berger (amekh’sa b-oulli), ils le questionnent à propos de ouaghzen (l’ogre). Le berger leur dit que les moutons qu’il garde sont sa propriété.

-Eloignez-vous d’ici, si vous ne voulez-pas finir dans son estomac, braves gens !

-Non, nous sommes décidés à le tuer et ramener notre sœur qu’il a enfermée chez lui.

-Puisque vous êtes têtus, et pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend, battez-vous avec le bélier que voici. Si vous arrivez à le vaincre, vous aurez une mince chance de le battre lui aussi.

Les six princes s’alignent pour affronter le redoutable bélier qui avait des cornes en faucille. Avant même qu’ils ne se rendent compte de ce qui leur arrivent, ils roulent dans la poussière désarçonnés. Ils se relèvent, les membres endoloris, et continuent leur chemin. Quelques kilomètres plus loin, ils rencontrent un bouvier (amek’sa g-izgaren). Ils l’interrogent au sujet de ouaghzen. Le bouvier leur dit :

-Eloignez-vous d’ici, ces bœufs sont sa propriété. S’il vous trouve dans les environs c’en est fait de vous, il ne fera qu’une bouchée de vous et de vos chevaux.

-Indique-nous sa tanière, nous sommes venus délivrer notre sœur qu’il garde prisonnière.

-Pour évaluer vos chances de succès mesurez-vous d’abord à ce gros taureau. Si vous réussissez à le battre peut-être que vous aurez une chance, une chance bien mince de réussir.

Les six princes s’alignent pour affronter le terrible taureau qui mugit et gratte le sol avec ses sabots. Avant qu’ils ne réalisent ce qui leur arrivent ils tombent à terre désarçonnés, cette fois aussi. Heureusement pour eux, ils ne sont pas encornés. Ils se relèvent et quittent les lieux, sous les avertissements incessants du bouvier. Ils continuent leur chemin et entrent dans l’immense forêt où aucun humain n’ose s’aventurer. Ils descendent de cheval et suivent à la queue-leu-leu le sentier qui les mènent tout droit vers l’antre de ouaghzen. Ils se mettent à l’affût et guettent le moindre bruit. Au bout de quelques minutes encouragés par le silence qui y règne ils pénètrent un à un dans la grotte qui s’évase au fur et à mesure qu’ils avancent. Ils arrivent dans une immense cour faiblement éclairée de lampes à huile ’’lemçabih’’.

Bien que ce soit en début d’après-midi, les six frères trouvent leur sœur endormie. Elle est étonnée de voir ses six frères à ses côtés, mais une fois les effusions finies, ils doivent affronter la réalité. Elle leur dit :

-Partez, mes frères, partez s’il vous surprend ici c’en est fini de vous. Ouaghzen est un monstre hideux, vorace et sans pitié. Partez avant qu’il n’arrive je vous en prie ! Partez pendant qu’il est encore temps, il ne sera là qu’à la tombée de la nuit ! Partez, partez !

Les six frères ne veulent pas retourner chez eux bredouilles, ils demandent à leur sœur de les suivre :

-C’est inutile mes frères, même si nous nous enfuyons, il va nous rattraper et nous dévorer.

Les six frères et leur sœur discutent durant des heures, et voilà que la nuit commence à tomber. Il est trop tard pour partir.

-Nous ne partirons d’ici qu’après l’avoir tué ! Ne pouvant pas raisonner ses frères, elle les cache dans une grande anfractuosité de la grotte.

Son frère aîné lui dit :

-Nous le tuerons, fais-nous signe quand il sera endormi. Quand vous entendrez dans son ventre crier toutes ces bêtes qu’il a dévorées dans la journée, c’est à ce moment qu’il est profondément endormi.

Après ces explications, ils se cachent à l’endroit indiqué et attendent l’arrivée du monstre qui ne tarde pas à se manifester. Dès qu’il arrive, il hume l’air et dit à sa femme :

-Je sens une forte odeur d’homme ici ! Qui est venu ?

-Personne n’est venu !

-Je ne te crois pas ! Je veux avoir le cœur net !

Il se met à chercher et trouve les six frères cachés. Avant qu’ils ne lui livrent bataille ils sont désarmés et enfermés dans un gouffre. Heureusement pour eux qu’il n’avait pas faim, sinon il les aurait dévorés sur le champ. Pour sauver ses six frères, leur sœur supplit ouaghzen de les épargner. Il accéda à son désir il ne va pas les dévorer mais il va les retenir prisonniers.

Le roi et la reine attendirent le retour de leurs fils accompagnés de leur sœur, mais ils ne reviennent pas. la reine éplorée ne fait que pleurer à longueur de journée. Elle se lamente et se lacère les joues, elle se culpabilise en se disant qu’elle aurait dû les empêcher de partir tous ensemble. Elle aurait pu retenir au moins l’un d’eux, mais elle ne l’a pas fait. Elle le regrette amèrement. La voilà, elle qui a enfanté sept enfants sans un seul à la maison. De son côté, le roi est dans le même état. Il se sent coupable de toute la tragédie qui arrive à sa famille. S’il s’était montré un peu plus ferme envers l’extravagance de sa fille, pour la possession de la robe qui danse toute seule, rien ne serai arrivé. S’il avait empêché des six fils de partir ensemble pour délivrer leur sœur qui n’est plus peut-être en vie, rien ne serait arrivé. S’il les avait fait escortés rien ne le leur serait arrivé non plus. Coupable sur tous les plans, l’agellid’ est au bord de l’effondrement. Il commence à se faire vieux, il avait six héritiers et une héritière et le voilà tout d’un coup d’adhelaâ imoumi ikes elqaâ (sans rien). Pour cacher son immense chagrin il s’enferme chez lui, et ne prend part aux assemblées que lorsque sa présence est indispensable.

La reine qui a perdu tout espoir de revoir vivant ses enfants, passe son temps à prier Dieu de lui exaucer le vœu, d’enfanter de nouveau même s’il s’agit d’un enfant ressemblant à un mulet (asarrd’oun). Son vœu est exaucé. Quelques mois plus tard, elle met au monde un garçon qui fut prénommé Ali. La joie revient au palais, le trône est sauvé, la famille royale a un héritier. Ali, choyé, grandit. Il était normalement constitué à l’exception de sa tête, qui était un peu diforme, elle était oblongue, et ses mâchoires allongées et proéminentes. Quand on le regarde de profil, on dirait une tête de mulet posée sur un corps humain.

Cette ’’infirmité’’ lui valut le surnom de Ali Asard’oun (Ali le mulet). Et comme le mulet dont il porte le nom, Ali devient fort, endurant et têtu. Gare à celui qui ose le contrarier. Il cogne de ses mains et de ses pieds. Adolescent personne ne lui résiste. Adulte, il devient invincible. Bien que pas très intelligent et se souciant peu des affaires du royaume et de la lourde tâche qui l’attend, à la mort de ses parents. Un jour, le roi et la reine décident de lui dire la vérité, à propos de ses six frères et de sa sœur disparus. Il est étonné d’entendre de tels propos.

-S’ils sont encore en vie je les délivrerais et je tuerai le monstre qui les a gardé prisonniers depuis tant d’années.

Ses parents sont heureux et malheureux à la fois. Ils veulent avoir le cœur net sur ce qui est arrivé à leurs enfants, mais ils craignent que Ali asard’oun périsse et ç’en est fini de leur lignée. Ils se ressaisissent et veulent l’empêcher de courir à l’aventure. Mais Ali Asard’oun n’aime ni les dagues ni les épées, son arme de prédilection est la massue. Il se rend chez le forgeron du palais ’’ah’dad’’ et lui commande une massue en fer forgé, que ne peuvent soulever que deux hommes bien musclés. Quand elle est fabriquée, il essaye sur des rochers. Elle s’ébrèche. Il demande au forgeron de la renforcer jusqu’à ce qu’elle devienne plus solide qu’un roc de granit. Muni de sa terrible arme, il harnache deux chevaux, l’un pour lui et l’autre pour sa massue et prend la direction de la forêt où réside ouaghzen (l’ogre).

En cours de route, il rencontre le berger qu’ont rencontré ses frères il y a de nombreuses années.

-Peux-tu m’indiquer l’antre de ouaghzen ay argaz lâli !’’ (Fils de bonne famille).

-Retourne sur ton chemin, si tu veux pas mourir, jeune homme écervelé. Ouaghzen est invincible. Tous ceux qui sont rentrés dans son territoire, ne sont jamais revenus. Six fous comme toi se sont aventurés, mais ils ne sont jamais revenus !

-Ce sont mes frères, ce sont eux que je cherche !

-Rebrousse ton chemin pendant qu’il est encore temps, sinon tu vas finir comme eux.

-Même si je dois y laisser la vie, je ne retournerai pas d’où je vient. Inutile de me conseiller.

-Puisque tu est têtu comme une mule, mesure-toi au bélier que voici.

Il lui montre un énorme bélier aux cornes retournées. Ali Asard’oun sourit. Sans utiliser sa massue, il se dirige vers le bélier qui fonce vers lui tête baissée. Il évite son assaut, le saisit par les cornes, le fait tournoyer et le jette au sol, comme s’il s’agissait d’un fétu de paille. Le berger est étonné, cet homme doué d’une force surhumaine est capable avec un peu de chance de battre, voire de tuer l’ogre (ouaghzen). Il lui indique la voie à suivre.. Ali Asard’oun est très content de son exploit. Il continue son chemin et trouve le bouvier.

-Je cherche l’antre de Ouaghzen pour le tuer. Peux-tu m’indiquer le chemin ?

-Tu plaisante? Jeune écervelé ! Ouaghzen n’est pas n’importe qui. Retourne d’où tu viens, avant qu’il ne soit trop tard. Ouaghzen est invincible. Tous ceux qui sont rentrés dans la forêt ne sont jamais revenus. Retourne chez toi si tu ne veux pas qu’il t’arrive ce qui est arrivé à six jeunes comme toi, qui n’ont pas voulu m’écouter. Ils ont été dévorés les pauvres, eux qui croyaient pourvoir le tuer.

-Ces six jeunes ce sont mes frères, je les recherche. S’ils sont vivants je vais les ramener à la maison, et s’ils sont morts je veux le savoir. Rien ne pourra me détourner de ma mission, inutile de me conseiller.

-Puisque tu est têtu comme une mule, et pour voir si tu est vraiment fort, mesure-toi au taureau que voici au milieu du troupeau.

Ali Asard’oun sourit. Ce n’est pas ce taureau aux cornes en faucille qui va le battre, il le sait. Il s’avance d’un pas décidé vers le taureau aux cornes effrayantes et le défie à mains nues. Le taureau s’élance sur lui, il esquive le coup se saisit de ses cornes et le fait pivoter sur lui-même jusqu’à ce qu’il tombe à terre.

S’il avait voulu, il lui aurait brisé le cou, mais il le laisse en vie. Le bouvier est très content de cet exploit. Il lui dit, que s’il a de la chance, il pourra tuer Ouaghzen (l’ogre). Il lui indique le chemin qui mène à l’antre du monstre hideux et velu. En début d’après-midi, il arrive enfin à l’endroit indiqué. Il fait le guet, écoute les bruits, puis s’engage dans la tanière de Ouaghzen.

Il marche doucement, s’arrête souvent, les sens aux aguets. Après quelques instants, il débouche dans la grande cour intérieure. Il voit une splendide femme, qui se chauffe autour d’un brasier. Pour ne pas l’effrayer, il lui dit en se montrant :

-Our tsa gad’ ara, nek d’-g’ma-m a outma aâzizen felli. (N’aie crainte, je suis ton frère, chère sœur !).

La sœur est étonnée. Elle savait qu’elle avait six frères mais le huitième, elle l’ignorait. Elle demeura interdite quelques instants et le laissa s’approcher. En quelques minutes, il la met au courant des principaux faits, et lui demande à brûle-pourpoint si elle savait où étaient ses six frères.

-Je ne le sais que trop petit frère ! Ils sont prisonniers depuis des années dans le gouffre qui se trouve à l’intérieur de cette grotte aux parois abruptes d’où ils ne peuvent s’enfuir.

-Montre-là moi vite, afin que je les délivre.

Elle lui montre l’endroit profond et escarpé. Ali Asard’oun fait le tour. Pour pouvoir les délivrer, il lui faut une longue corde. Il n’y en avait pas. Le temps presse. Mais il avait encore un peu de temps devant lui. Sa sœur lui a dit que Ouaghzen ne rentre qu’à la tombée de la nuit pour pouvoir dormir et se reposer. Avisant des toisons de moutons amoncelées dans un coin, Ali Asard’oun demande à sa sœur une dague. Il les découpe en lanières qu’il attache bout à bout, jusqu’à avoir la longueur voulue.

Il se ceinture avec la grande lanière qu’il lance ensuite au fond du gouffre. Il demande à ses frères de l’attacher autour de leur taille. C’est de cette façon qu’il arrive à les hisser un par un de leur prison. Ce n’est que par ce moyen qu’il pouvait les délivrer. Leurs membres se sont affaiblis par des longues années de captivité. Une fois dehors, il leur annonce qu’il est leur frère et c’est pour cette raison qu’il est là, pour les ramener tous à la maison à condition qu’il tue Ouaghzen (l’ogre). Ses frères sont sceptiques. Ali Asard’oun est fort, mais est-il capable de venir tout seul à bout de la terrible créature ? Ils en doutent, d’autant plus qu’ils ne peuvent lui être d’aucune utilité, sans armes et très affaiblis. Pendant qu’ils faisaient connaissance en se racontant les péripéties de leur vie mouvementée, ils entendent les cris gutturaux de Ouaghzen qui rentre chez lui. Leur sœur est pétrifiée cette fois-ci, si Ouaghzen n’est pas tué, il va tous les dévorer et elle aussi pour l’avoir trahi. La dernière fois, il a épargné ses frères par pitié et pour ne pas trop la contrarier mais cette fois-ci c’est sûr qu’ils vont passer. Elle demande à ses frères de se cacher. Dès qu’il rentre dans la grande cour, il lance un cri qui la glace d’effroi.

-Je sens une odeur d’étranger ! (Choumagh rih’a ouvarani !)Qui est venu ici en mon absence, fille du péché ? (A illi-s lah’ram, anoui id youssan d’effir-i ?).

Sortant de sa cachette, tenant entre ses deux mains sa terrible massue, Ali Asard’oun lui dit :

-C’est moi ! Et je suis venu spécialement pour te tuer, pour tout le mal que tu as fait à ma famille.

Ouaghzen lance un grognement qui fait vibrer les parois de la grotte.

Ils se lancent l’un contre l’autre. Ali Asard’oun, pour ne pas se laisser approcher, fait tournoyer sa massue dans tous les sens. Ouaghzen essaye de l’agripper. Si jamais il parvient, il va le dévorer en ouvrant sa gueule démesurée. Ali Asard’oun rompu au combat esquive tous ses assauts. Il vise sa tête et quand il est sûr de la toucher, il lui lance à la volée, sa terrible massue. Blessé, Ouaghzen titube et s’affaisse légèrement. Ali Asard’oun profite de ce moment de répit pour se saisir de son arme. Il lui donne sur la tête des coups saccadés jusqu’à la fracasser. Sa tête réduite en bouillie Ouaghzen est inanimé. De sa gueule grande ouverte, sortent des borborygmes saccadés. Il est au bord de l’agonie. C’est fini pour lui. Ses frères et sa sœur qui ont assisté au combat héroïque sont émerveillés. Ali Asard’oun a vaincu Ouaghzen. Il est félicité.

Le corps de Ouaghzen est traîné à l’extérieur où Ali C’est là qu’ils apprennent de la bouche de leur sœur que, si cela s’est produit, c’est à cause de son caprice d’enfant qui a exigé de son père l’ag’ellid’ ’’Thiksiouth ichet’h’en ouah’des’’ (La robe enchantée qui danse toute seule). Or cette robe se trouvait entre les mains de Ouaghzen (l’ogre). Son père se l’est procurée pour ne pas la chagriner, mais il a conclu un marché avec Ouaghzen, qui pour ses intérêts, se déguise en homme pour mieux berner ses victimes, même si c’est dans ce cas il s’agit du roi. A l’aube, tout le monde connaît l’histoire dramatique de la famille. Avec les richesses accumulées dans la grotte, les frères achètent des mulets pour les transporter au palais. En cours de route ils trouvent le bouvier et le berger qui leur ont indiqué le chemin de la grotte auxquels ils annoncent que leur plus jeune frère a terrassé Ouaghzen et, qu’à partir de cet instant, ils ont la possibilité de prélever quelques bêtes des troupeaux, qui sont devenus les leurs, ou de les suivre avec leurs bêtes au palais. Ils choisissent la première solution mais acceptent de conduire les animaux dans les écuries du palais. En recevant au palais ses enfants au grand complet, le roi est fou de joie, de même que la reine. Le plus moche de ses fils a réussi le plus grand exploit de sa vie, tuer Ouaghzen (l’ogre) et délivrer ses frères et sa sœur prisonniers.

Pour fêter l’évènement, le roi ordonna des réjouissances qui durèrent sept jours et sept nuits. ’’Our kefount eth h’oudjay inou our kefoun ird’en tsemz’in as ne-elaïd’ anetch ak’soum tsh’emz’ine ama ng’a thiouan z’izine’’. (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd, on mangera de la viande et des pâtes jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

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