Agellid amesvatli “Le roi inique”

16 octobre 2015

Amachahou rebbi ats iselhou.Ats ighzif anechth ousarou.(Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil). Jadis régnait sur la terre un monarque aux multiples lubies. Ce sont quelques-unes d’elles, que nous allons vous raconter à travers ce conte du terroir.

Cet “Ag’ellid” (roi) qui avait droit de vie et de mort sur tous ses sujets, s’ennuyait à en mourir dans son palais. Ses “fous” attitrés ne le faisaient plus rire. Gagné par la morosité, un jour monté sur son magnifique destrier, il se rend escorté au marché et déclare au milieu de la foule agurie :

“- J’exige qu’on m’achète de l’ombre avant demain après-midi. Je mets à la disposition de tous cinq douros. En cas d’échec, je ferai couper à tous la tête”.

Les sujets du roi tremblent tous à la fois. Ils savent par expérience, que le tyran est capable de tout.

Dans l’assistance, il y avait un vieillard qui avait ressenti la menace, beaucoup plus que d’autres. Tous les membres de sa famille sont morts, il ne lui reste plus qu’une fille âgée d’une vingtaine d’années qui s’occupe de lui.

En rentrant à la maison, la mine défaite et ne voulant pas manger, sa fille lui pose des questions. Il lui répond et lui apprend que “Ag’ellid” (le roi) à décrété la mort de tous ses sujets, si on ne lui ramène pas “Thili (ombre), pour la somme de cinq douros. La jeune file qui avait une intelligence lors du commun s’écrit :

“L’ombre dont il parle est facile à trouver !

Le vieillard est interloqué.

Vas tout de suite au palais et ramène l’argent promis ! Je vais t’acheter moi même “thili (ombre)”.

Le vieillard qui avait foi en sa fille se rend chez “Ag’ellid”, qui lui fait remettre les cinq douros.

Avec l’argent, la jeune fille se rend chez un paysan et s’achète “Lemdhella” (un chapeau, genre de Sombrero), couvre-chef typique des paysans kabyles, même de nos jours).

En la remettant à son père, celui-ci, a le fou-rire et dit à sa fille :

Lemdhella thegar thili Ghorem el haq à illi”.

(Le chapeau fait de l’ombre. Tu as raison ma fille !)

Le lendemain dans la matinée, avant que le délai ne soit passé, le vieillard se présente au palais et remet “thili (ombre)” comme exigé.

Grâce à “thili”, la population est épargnée. Quelques jours pus tard l’A’gellid récidive. Cette fois-ci, il demande à ses sujets de lui ramener deux objets, capables de l’emmener au marché, sans qu’il puisse toucher le sol avec ses pieds.

Cette deuxième exigence met en émoi tous les sujets du roi. Où va-t-on trouver ces objets ? Tout le monde craint pour sa vie, le vieillard s’ouvre à sa fille. Elle le rassure, en lui disant qu’elle avait de solution. Comme pour la première fois,le vieillard se rend au palais pour prendre la somme allouée. Sa fille se rend chez un cordonnier “akharaz” et s’achète une paire de protège-pieds (bouâfas ou ichifadh) faites en cuir de bœuf. Elle les remet à son père. Il éclate de rire et lui dit :

Adhar our itsnal ak’al Ma ilsa ichifadh n’elmal. (Les pieds ne peuvent toucher la terre, s’ils sont recouverts de protège-pieds !)

Le lendemain matin, le vieillard se présente avant l’heure fatidique au palais et remet les protège-pieds, au monarque aux lubies. Il est intrigué par ce vieillard qui a deviné, ce à quoi il faisait allusion en des termes sibyllins, pas du tout à la portée de n’importe qui.

Après quelques mois de répit, un jour de marché, l’A’gellid annonce à la population affolée, qu’il couperait la tête à tous si l’énigme suivante n’est pas élucidé avant demain après-midi :

Quel est l’arbre qui possède douze branches et sur chaque branche poussent trente feuilles ?

Cette troisième exigence aussi énigmatique que les deux premières, déconcentre les gens. Comme à l’accoutumée, ce fut la fille du vieillard qui réussit à résoudre l’énigme. Elle dit à son père :

“L’arbre c’est l’année, qui a douze mois. Les branches ce sont les mois qui ont trente jours.

Le vieillard regarde sa fille, sourit et lui dit :

Thoufidh elhal a illi Tsidets irkoul aya gi !

(Tu as trouvé la clef de l’énigme ma fille c’est la vérité ce que tu dis !)

C’est le cœur léger qu’il se rend le lendemain au palais et qu’il donne la réponse désirée au monarque étonné.

Les mois passent inexorablement. L’A’gellid semble s’assagir, la population retrouve sa quiétude, mai un jour de nouveau tout bascule ! l’A’gellid menace de décapiter tout le monde, si le jour du marché, il ne trouve pas sur la place publique au moins un homme qui ne soit ni nu ni vêtu.

La population qui croyait que les énigmes de l’A’gellid étaient finies est angoissée. Comme la réputation du vieillard commençait à se savoir, les gens le supplie de contrecarrer les projets funestes de l’A’gellid (roi), en résolvant cette quatrième énigme.

En rentrant chez lui le vieillard dit à sa fille : “Cette fois, je crois que c’est fini, l’A’gellid veut voir de ses propres yeux un homme qui ne soit ni nu, ni vêtu. Personne ne sait comment faire. — C’est facile papa, s’écrit la fille. Le jour du marché tu mettras un pagne autour de tes hanches, et tu te couvriras d’un bournous. Quand l’A’gellid viendra, tu te découvrira devant lui en enlevant ton bournous. Il verra devant lui, un homme pas complètement nu et pas complètement vêtu”.

Le vieillard sourit et dit à sa fille :

“Ghorem el haq à illi Ad gagh akka asseni.

C’est ainsi que sur les recommandations de sa fille,le vieillard sauva une fois de plus la population des griffes du tyran.

Intrigué par les réponses toujours justes du vieillard, l’A’gellid l’appelle devant lui et lui dit :

“Les réponses ne sont pas de toi ! Elles sont de qui ? S tu ne me dis pas la vérité, je vais te décapiter…”

Pour sauver sa vie, le vieillard dénonce sa fille. Contre toute attente l’A’gellid (roi) désire l’épouser.

Le vieillard rentre chez lui euphorique, le sourire aux lèvres et les yeux pétillants.

Il dit à sa fille que l’A’gellid veut l’épouser. Elle tombe des nues et demande pourquoi c’est elle qu’il veut.

“C’est parce que je lui ai dit que c’est toi qui me donnes les réponses à chaque fois.”

Le lendemain matin, des esclaves ramènent sept robes à la future mariée, en chemin, trois sont dérobées. En ouvrant «assendouq» (sorte de grande caisse servant autrefois d’armoire aux nouvelles mariées), la jeune fille constate qu’il y a trois fils qui ne correspondent pas aux robes qu’elle tient dans ses mains.

Elle déduit aussitôt, qu’il manque trois robes. Elle prend les bouts de fil, les entrelace et les remet au chef des esclaves en lui disant 

– Moudtha-s lekhioudh agi Iou g’ellid’ ennou en Inta-s d’eg g’enni K’ra g-ithran khouçen (Donnez ces fils-ci A votre roi Dites-lui que dans le ciel Il manque quelques étoiles !)

Dès son retour au palais, le chef des esclaves remet les fils à l’ag’eellid’ et lui répète ce que lui a dit la jeune fille.

Le message codé est aussitôt décodé. Le monarque fait fouiller le dortoir des esclaves où sont retrouées soigneusement cachées trois magnifiques robes de soie. Ayant failli à leur mission, les fauteurs sont décapités.

Quelques jours plus tard, l’ag’ellid’ épouse la fille du vieillard lors d’une cérémonie qui dura sept jours et sept nuits.

Moins d’un mois après son mariage, l’ag’ellid’ dit à sa nouvelle favorite :

– Je sais que tu es subtile. C’est pour cela d’ailleurs que je t’ai épousée. Je vais te demander de ne pas interférer dans mes jugements, qu’ils soient bons ou mauvais.

Si tu le fais sans que je demande ton avis, tu seras répudiée !

Les mois passent sans incident lorsqu’un jour, un paysan vient voir l’ag’ellid’ à propos d’un litige qu’il a, avec un autre paysan à propos d’un ânon.

Le plaignant possède une ânesse qui a mis bas un ânon, un jour ne trouvant pas sa mère dans les environs, l’ânon suit la mule d’un autre paysan. Il s’habitue à elle et ne veut plus la quitter. Le propriétaire de l’ânon le réclame au propriétaire de la mule qui ne veut pas le lui rendre. Il lui dit même pour l’éloigner, que l’ânon a été engendré par sa mule.

Ne voulant pas rentrer en conflit ouvert avec lui, le propriétaire de l’ânon rapporte les faits au roi et lui demande de trancher.

Il convoque les deux hommes et leurs bêtes. L’ânon est placé à équidistance de la mule et de l’ânesse.

Le roi prend la parole et dit :

– De la direction que pendra l’ânon dépendra ma décision.

Contre toute attente, au lieu de courir vers sa vraie mère, l’ânesse, l’ânon courut vers la mule sa mère d’adoption.

Le propriétaire de l’ânesse et de l’ânon fut débouté légalement au profit de son antagoniste. Le roi ayant tranché en faveur du propriétaire de la mule, le pauvre paysan se met à pleurer à chaudes larmes. Il avait bâti des projets sur cet ânon qui promettait mais le voilà dépossédé de son bien arbitrairement à jamais. Aucun recours ne lui est permis. S’il persiste, il risque même d’avoir la tête coupée.

La nouvelle épouse du roi qui avait assisté cachée derrière les rideaux au verdict qui vient d’être rendu, est offusquée.

Prenant en pitié le malheureux paysan, elle l’appelle discrètement près d’une porte dérobée et lui dit :

-Inas ioug’ellid’ ayagi (Dis au monarque ceci).

Il y avait autrefois un paysan qui avait un champ de blé. En une nuit il fut dévasté par les poissons de la rivière qui ont tout dévoré ! S’il te dit que cela est impossible, dis-lui que c’est impossible aussi qu’une mule mette bas un ânon. Les mules sont des bêtes stériles et ne peuvent pas, par conséquent, avoir des petits.

Encouragé par la femme inconnue, le paysan demande à voir l’ag’ellid’. Dès qu’il lui permet de prendre la parole, il lui dit :

“- Majesté qui a droit de vie et de mort pour ses sujets, j’ai une histoire à vous raconter, si vous voulez bien m’écouter.”

L’ag’ellid’ intrigué, le laisse parler. Le paysan lui raconte l’histoire du champ de blé dévasté par des poissons.

“- Mais, tu délires paysan, des poissons qui mangent du blé, c’est du jamais vu !

– Comme on n’a jamais vu des mules mettre bas des ânons, majesté !

– Ce que tu dis là n’est pas de toi, paysan ! Dis-moi qui t’a soufflé cette idée, sinon, je vais te faire décapiter !

– C’est vrai, majesté, elle n’est pas de moi, c’est une belle femme d’ici qui m’a demandé de vous la raconter.

– Je sais qui c’est. C’est ma femme «Illi-s lahram !» (la fille du péché !) Elle va me le payer !

Après avoir congédié le paysan, l’ag’ellid’ rentre furieux chez lui et dit à son épouse :

“- On s’était mis d’accord dès le début que tu ne devais pas interférer dans les affaires du royaume même si elles te semblent saugrenues ! Puisque tu as failli en m’envoyant ce paysan tu es répudiée à compter d’aujourd’hui. La seule faveur que je t’accorde, c’est que tu puisses prendre du palais, la chose la plus précieuse que tu voudras. Tu as jusqu’à demain midi pour le faire.”

L’épouse de l’ag’ellid’ demande aux menuisiers du palais de lui ramener un grand coffre (assendouq) pour, dit-elle, ranger ses affaires. En guise de repas d’adieu, elle prépare de ses propres mains un délicieux gâteau qu’elle fait servir à l’ag’ellid’. Dès qu’il en goûte un morceau, il tombe en léthargie, car ledit gâteau a été préparé à l’aide de somnifère.

Une fois dans les bras de Morphée, elle l’enferme dans le coffre et ferme à clef. Elle appelle ensuite ses esclaves et leur demande de porter sur le champ le coffre à la maison de son père.

Une fois seule, elle ouvre le coffre et installe l’ag’ellid’ sur d’épaisses toisons de moutons recouvertes d’un haïk multicolore (épaisse couverture de laine tissée à la main).

Quand l’effet du somnifère s’est dissipé, l’ag’ellid’ se réveille et dit à haute voix :

– Anda ligh akka ! (Où suis-je donc ?)

– Tu es dans la maison de mon père !

– Et qu’est-ce que je fais dans la maison de ton père ?

– Je ne fais qu’obéir à tes ordres, majesté !

– Quels ordres ?

– En me répudiant tu m’as bien dit de prendre ce qui m’est de plus précieux. Eh bien c’est ce que j’ai fait ! De toutes tes richesses, rien n’est plus précieux à mes yeux plus que toi, ô majesté. C’est pour cela que j’ai jugé utile de t’amener chez moi ! Je t’ai enfermé dans le coffre que voici, après t’avoir endormi”

L’ag’ellid’ est surpris par les propos de sa femme qui lui vont droit au cœur. Cette femme tient vraiment à lui, elle vient de le lui prouver alors que lui l’a répudiée.

Il la regarde droit dans les yeux, lui sourit, la serre contre lui, et lui dit :

– “Tu as gagné (threvh’adh !). Ton intelligence, ta perspicacité, ta générosité, ta sagesse sont des qualités qu’on ne trouve pas chez n’importe qui. A partir d’aujourd’hui, tu seras ma conseillère attitrée en privé et cachée. Tu ne siégeras pas dans les assemblées, mais tu écouteras tout ce qui se dit. Ton devoir sera dorénavant de me faire éviter des faux-pas dans la façon de gouverner. Si tu vois que je suis dans l’erreur fais-le moi savoir avant que je ne rende des verdicts iniques au nom de la loi, comme je l’ai fait avec ce pauvre paysan propriétaire de l’ânon que j’ai dépossédé arbitrairement. D’habitude, je ne me déjuge jamais d’un verdict prononcé, même si je me rends compte par la suite que j’ai été inique, mais comme il y a un début à tout grâce à toi, je vais rétablir le propriétaire de l’ânon dans ses droits.

– C’est un geste qui sera apprécié par la population je n’en doute pas, majesté !

– Puisque tu le dis ! Je te crois sur parole ma bien-aimée !”

Depuis ce jour, ils se sont mis d’accord pour toujours. Judicieusement conseillé, l’ag’ellid’ régna avec équité sur son peuple pendant de très longues années.

Our kefount eth h’oudjay inou our kefoun ir den ts emz’ine as n-elaid an en etch ak’ soum ts h’emz’ ine ama n g’a thiouenz’ iz’ ine.

(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent l’orge et le blé. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

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