Conflit conjugal

17 octobre 2015

Amacahu Rebbi ad tt-yesselhu,ad tiɣzif anect usaru. (Que je vous conte une histoire. Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).

Avoir « Aɛdaw s nnig n lkanun » un ennemi au sein même de sa famille est la pire des calamités qui puisse arriver à un être humain. Et cela arrive ! C’est l’histoire d’un époux et de son épouse qui sont à couteaux tirés, que nous allons vous raconter à travers ce récit du terroir. Dans les siècles passés, il n’y avait ni écoles, ni universités pour inculquer le savoir. Tout se transmettait oralement. La seule chose qui pouvait différencier les êtes humains était l’intelligence. Mais comment mesurer l’intelligence ? Nos ancêtres ont trouvé la solution. Etaient intelligents les hommes ou les femmes capables de trouver la clef d’énigmes « Timseɛraq ». Le plus intelligent était celui qui pouvait en deviner le plus grand nombre.

C’est suite à ce critère de sélection qu’une femme s’oppose à son mari. Le couple a un enfant pas encore adolescent. Il adore son père et le suit partout où il va. Le père est un homme intelligent, il résout toutes les énigmes qu’on vient lui soumettre, en présence de son enfant. L’enfant apprend vite et se forge peu à peu sa propre réputation. Le père et le fils sont toujours ensemble au point que la mère du petit devient jalouse de cette complicité et veut la briser. Quand toute la famille est réunie autour du kanoun (âtre) le père aime étaler comme tous les soirs, les prouesses de son petit qu’il câline et serre contre lui. La mère est excédée. Elle supporte depuis des mois leurs énigmes à répétition. Un soir qu’elle était de mauvaise humeur, elle élève sa voix, pleine de fureur elle dit à son mari hébété :

– Ad d-tettzuxxuḍ s mmi-ik’ ! (Tu glorifies ton fils d’être intelligent) Ula d nekk ad zuxxeɣ s watmaten-iw. Ifen mmi-ik,ifen-k ula d keččini.

(Moi aussi je peux me vanter, j’ai des frères plus intelligents que ton fils et plus intelligents que toi !). A cette époque fort reculée, une femme qui s’adresse ainsi à son mari est vite répudiée. Bien que touché dans son amour-propre, l’homme qui était intelligent dit à sa femme en se contenant :

– Tu iras sur le champ voir tes fameux frères, mais tu ne reviendras ici que s’ils arrivent à deviner l’énigme que voici :

– Anwa i d yir afrux, anta i d yir ṭṭeǧra deg wayen i d-yexleq Rebbi merra (Quel est le plus vil des oiseaux, qu’elle est la plante la plus abjecte de tout ce qui a été crée ?)

La mère comprend un peu tard qu’elle a dépassé les bornes. Le mal est fait, elle ne peut y remédier. C’est la mort dans l’âme qu’elle se rend chez ses frères qui la reçoivent à bras ouverts. Mais comme elle est arrivée seule sans son mari et sans son petit, sa famille est intriguée. A sa mine renfrognée « Yekres unyir-is » sa mère intuitive devine que quelque chose de mauvais s’est passé.

– Ce n’est pas dans tes habitudes de venir sans être accompagnée ! Que t’es-t-il arrivé, ma fille !

– J’ai voulu faire de l’esprit devant mon mari. Il s’est senti humilié, pour ne pas me répudier, il m’a dit que je ne retournerai chez lui qu’à la seule condition que mes frères devinent l’énigme ainsi formulée :

– Anwa i d yir afrux, anta i d yir ṭṭeǧra deg wayen i d-yexleq Rebbi merra (Quel est le plus vil des oiseaux, qu’elle est la plante la plus abjecte de tout ce que Dieu a crée !). Pour sauver leur sœur de la répudiation, les frères se concertent au sujet de l’énigme.

Rompus à ce genre d’exercice, il le résolvent tout de suite.

– Ne t’inquiète pas chère sœur, la solution que tu cherches est celle-ci. Quand tu rentreras chez toi, tu diras à ton mari que :

– Yir afrux d tamiɛruft,yir ṭṭeǧra d ilili deg wayen i d-yexleq Rebbi (Le plus vil des oiseaux c’est la chouette, c’est un oiseau de malheur et de mauvaise augure. Quand elle se met à hululer la nuit c’est que la mort va frapper. (Cette croyance d’annonciation de la mort existe en Kabylie jusqu’à l’heure actuelle).

La plus abjecte des plantes c’est le laurier rose. Il porte de très belles fleurs et il n’existe pas de plantes plus amères que lui. Quand on goûte à sa sève, l’amertume est ressentie durant une journée. L’énigme décryptée, la sœur rassurée, les frères égorgent un poulet qu’ils mangent avec du couscous bien saucé. Autour de l’âtre plein de braises, ils se racontent des histoires où les énigmes dominent. Le lendemain dès le lever du jour, leur sœur confiante reprend le chemin du retour. En arrivant près de chez elle, elle voit son fils venir vers elle en courant. A brûle-pourpoint il lui dit :

– Qu’est-ce que tes frères t’ont donné comme réponse ?

– Ils m’ont dit que l’oiseau le plus vil c’est la chouette, quant à la plante c’est le laurier-rose.

– Mère, je ne pense pas que ce soit vrai, car à mon avis l’oiseau le plus vil « d iḥiqel » (le perdreau mâle) car ce gallinacé dès qu’il est capturé par les chasseurs, ils s’en servent comme appât. Mi ara yesmerdiḥ iyessawal i watmaten-is  ar lmut (En cacabant, il appelle à la mort ses congénères).

Cette attitude de traîtrise fait de lui sans aucun doute le plus abject des oiseaux. Quant à la plante, je crois que la plus méprisable est l’oléastre (Aḥeccaḍ’ = aẓebbuj) c’est un arbre qui ne sert à rien. Il donne des olives abondantes, mais personne n’en profite, même pas les oiseaux. Ses olives ne contiennent pas d’huile. La mère embrasse son enfant et continue son chemin. En cours de route elle soupèse les réponses de ses frères et, celles de son fils. Elle est convaincue des deux côtés, mais lesquelles adopter ? Elle réfléchit en marchant et, arrive à la conclusion que pour son mari vaut mieux lui donner les réponses de son petit. Dès qu’elle arrive chez elle, elle trouve son mari qui l’attend et qui lui dit :

– Si tu n’as pas les réponses adéquates tu peux retourner d’où tu viens !

Sa femme esquisse un imperceptible sourire et lui dit tout de go, les réponses soufflées par son petit. Il les trouve justes et pour cause, c’est lui qui les a dites à son fils. Le père est furieux contre son rejeton et veut lui donner une mémorable leçon. Il s’en va le chercher, le voyant venir à lui, gros bâton à la main, le gamin tente de lui échapper mais il est vite rattrapé. Avant qu’il ne lui cogne dessus, il lui dit :

– Je ne t’ai jamais appris la trahison et pourtant c’est ce que tu as fait. Tu mérites un châtiment à la hauteur de ta trahison. Le père lève son bâton, le gamin esquive le coup et dit à haute voix :

– Je t’en prie, papa, si j’ai agis ainsi, c’est pour sauver notre famille qui risquerait de se disloquer. Si jamais tu divorçais, tu te remarierais et j’aurai été malheureux. Je t’aime, père, et j’aime ma mère. Je veux que vous soyez heureux tous les deux ! Si agir ainsi est une traîtrise alors frappe-moi, tue-moi si tu le veux !

En entendant ces mots pleins de sagesse, le père jette son bâton serre très fort son fils contre lui, et bras dessus, bras dessous, ils rentrent à la maison. La femme demande pardon à son mari pour lui avoir manqué de respect, ce qu’elle n’aurait jamais du. Le malentendu s’étant dissipé, la famille est plus soudée que jamais.  »Ur keffunt tḥujay-inu ur keffun yirden d temẓin. Ass n lɛid ad nečč aksum d temẓin alamma nga-d tiwenzizin. » (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

Benrejdal Lounes

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