La traîtresse (Thakhedaâth)

16 octobre 2015

Amachahou rebbi ats iselhou ats ighzif amechth ou sarou. (Que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil.) L’amour rend aveugle et c’est vrai, si l’on prend comme référence ce conte du terroir édifiant à plus d’un titre. 

Jadis, vivait dans une contrée montagneuse un couple de paysans. Cela fait des années qu’ils se sont unis, mais aucun enfant n’est venu égayer leur foyer. Au fur et à mesure qu’ils avancent en âge, ils redoutent de mourir sans laisser de progéniture. “Gad’en ad’ emthen d’imeng’ ou ren”. 

Mourir sans enfant pour un paysan ou pour tout être humain, c’est la pire des punitions (punition divine s’entend !). Le couple est désespéré. Leurs lopins de terre, leur demeure et tout ce qu’ils possèdent changeront de mains. Ils iront aux cousins. Cette perspective ne les enchante guère, ils vivent un enfer sur terre. En proie au désespoir, ils se replient sur eux-mêmes en attendant la mort. Mais comme tout vient à point à qui sait attendre, un jour, la femme sent la vie tressaillir dans ses entrailles. Elle saute de joie et informe aussitôt son mari. Depuis ce jour, l’épouse est invitée à se préserver jusqu’à la naissance du nouveau-né. Au bout de neuf mois, un joli poupon voit le jour. Le garçon tant attendu est choyé, couvé et alimenté avec des mets raffinés. Protégés par ses parents, il grandit à l’abri de tout danger. 

Rebbi d’eg g’ennni Netsa d’ilqaâ ig dhlev ad illi Ses pouvoirs sur ses parents sont illimités, il leur demande ce qu’il veut et il est servi. En croyant bien faire, en se montrant débonnaires à l’excès, ils ont contribué à faire de leur enfant un être capricieux, arrogant et intransigeant. A l’âge de seize ans, muni de son arc et de ses flèches, il part à la chasse dans les champs. Sur son chemin, il trouve errant une fille d’une très grande beauté, aux cheveux noir de jais. Il est ébloui par tant de grâce et de splendeur. Dès qu’il lui adresse la parole, il est subjugué. Il en tombe amoureux. Il lui demande de l’accompagner chez lui. Présentée à ses parents, il désire se marier avec elle sur le champ. Son père refuse une telle union. Il lui dit : “zouadj g-ibbas, ilaq as akhemem ousougas” 

Le mariage est une chose très sérieuse qu’on ne doit jamais prendre à la légère. Il faut beaucoup réfléchir. L’adolescent gâté à outrance est mécontent du refus de ses parents. Ils s’opposent à ce que leur unique garçon se lie à une inconnue, dont on ne connaît rien. La beauté n’est pas le seul critère à rechercher chez une fiancée. Il y a tellement de filles dans la famille et chez des amis, qui peuvent faire de bonnes fiancées. 

L’adolescent refuse toutes les propositions. Il ne veut faire que ce qu’il désire. Il tombe en désaccord avec ses parents et les quitte, malgré leurs lamentations et leur gros chagrin. Il voulait s’unir à la fille errante, contre vents et marées, il fait selon sa volonté. Il part avec la jeune fille par monts et par vaux. Un jour, il arrive avec elle, près de la demeure de “Amghar Azemni” (le vieux sage) qu’il connaît pour être venu le voir avec son père à plusieurs reprises. Il lui présente son épouse. Amghar Azemini la toise du regard, il tressaille. La jeune femme lui donne un malaise et un haut-le-corps. Il détourne ses yeux, prend le jeune homme en aparté et lui dit : 

Thamettouth agi thechvah soufella mayla ar d’khel Therka ! Cette femme est belle en apparence, mais perfide en dedans ! 

– Sépare-toi d’elle, avant qu’il ne soit trop tard. 

– Je ne peux le faire grand-père ! Je veux faire d’elle la mère de mes enfants, aucun conseils ne pourra me détourner de cette femme, qui a accaparé mon cœur et mon esprit. 

– Tu es obnubilé, tu ne sais pas ce que tu fais, mais n’oublie pas ceci : Endama Eth Garid Our-d Zougar Ara. (On ne regrette qu’après ce que l’on a fait, malgré les conseil donnés !) Le couple prend congé de “l’amghar azemni” et continue son chemin. Vers la tombée de la nuit, ils arrivent dans une clairière et découvrent une grande demeure où vivent sept hommes. 

Ils demandèrent l’hospitalité, elle leur fut accordée. La jeune femme est séparée de son mari, contre son gré. Les sept hommes lorgnent vers la femme, le jeune homme n’est pas dupe. Il comprend vite où ils veulent en venir. Il se bat contre les sept hommes qu’il terrasse tour à tour. Pour les neutraliser, il les entasse dans le sous-sol de la demeure. Là, une surprise de taille l’attend. Des squelettes d’hommes jonchent le sol, ce sont des ogres (iouaghznioun). Il prend peur et se dit : “Ats etsrou yemmath sen our thetsrou yemma !” (Il faut que j’en finisse avec eux, avant qu’ils n’en finissent avec moi.) Dégainant son épée, il les transperce un par un avant qu’ils ne se réveillent. S’étant débarrassé des ogres, il prend possession de leur demeure et de leurs richesses. Devenu le propriétaire des lieux, tous les matins, il s’en va à la chasse et laisse sa femme seule à la maison. Un jour, sa femme entend des gémissements provenant du sous-sol, elle soulève le couvercle qui recouvre la trappe pour voir de quoi il s’agit. Elle aperçoit le plus jeunes des ogres, qui a échappé à la mort. Le coup qu’il a reçu n’a pas touché un organe vital, il n’est que blessé. La beauté du jeune ogre lui donne des idées. Elle le soigne et lui donne à manger. Dès qu’il se rétablit, elle discute avec lui durant des heures. Elle passe ses journées avec lui au sous-sol, ne remonte que le soir, quand elle entend hennir le cheval de son mari. 

Elle se précipite dans sa couche, s’ébouriffe les cheveux, se ceint le front d’un foulard et se recouvre d’une épaisse couverture. Son mari qui s’attendait à la trouver alerte et prompte à préparer le gibier qu’il avait tué, est étonné de la trouver dans cet état. 

– “Mais qu’as-tu ma chérie, on dirait que ça ne va pas. 

– Je suis malade mon ami. 

– Si tu as besoin d’un remède, je suis là. 

– Pour venir à bout de ma maladie, il me faut manger des pommes enchantées. 

– Où puis-je trouver ces fruits ? 

– Je ne sais pas où elles se trouvent, mais je sais que ce sont les seules qui pourront me guérir.” Cette nuit-là, le mari passe un nuit blanche. Le lendemain matin de bonne heure, il se rend chez “Amghar Azemni”, le seul homme, capable de lui indiquer l’endroit où il pourra trouver les pommes enchantées. Le vieux sage, après avoir essayé de le raisonner encore une fois à propos du phénomène de rejet que lui inspire son épouse, dût déchanter, quand le jeune homme, pour toute réponse, lui dit : “-Je veux la guérir et non me séparer d’elle”. 

Devant son obstination, il lui dit : “Puisque c’est ainsi, la seule manière de te procurer les pommes enchantées qui appartiennent à l’ogresse de cette contrée, c’est d’essayer de la surprendre, au moment où elle moud du blé. A ce moment, afin que ses seins ne la gênent pas, elle les rejette en arrière, tu profiteras pour téter un de ses seins. Quand tu auras bu son lait, elle ne pourra rien contre toi.” Il suit à la lettre les recommandations de l’Amghar Azemni (vieux sage). Après avoir bu le lait de l’ogresse, elle lui dit : Loukan our thesouidh ara akfay inou aktchagh ou ad’tchagh thamourth fou ghef eth tsedoudh. (Si tu n’avais pas bu mon lait, je t’aurai avalé, comme j’aurai avalé la terre sur laquelle tu as marché !) Mais puisque c’est trop tard, dis moi, ce que tu veux. 

– Je ne veux que les pommes enchantées qui poussent dans ton verger. C’est le remède qu’il faut à ma femme tombée en léthargie. Ad’illi rebbi idek, ammis-medden k’etch ig tsammen issi-s medden. (Que Dieu te vienne en aide, toi qui crois les femmes.) Pauvre de toi qui commence à perdre la raison. Tu n’en as pas fini crois moi ! Ce n’est que le commencement !” Muni des pommes enchantées, le mari retourne chez lui, à bride abattue. Il arrive dans la soirée. Sa femme qui a passé toute la journée en compagnie de l’ogre n’a pas vu passer le temps. Dès qu’elle entend le hennissement du cheval de son mari, elle quitte le sous-sol à regret. Elle se jette sur sa couche et se met à gémir. Son mari lui remet aussitôt les pommes enchantées qu’elle croque à belles dents. Elle se lève comme par enchantement. Il est heureux de la voir de nouveau sur pieds. Le lendemain, il reste à la maison, ce qui ne plaît guère à madame, elle ne peut descendre voir l’ogre sans se trahir. Elle ronge son frein. Les jours suivants, elle incite son mari à reprendre ses habitudes de chasse. C’est avec soulagement qu’elle le voit partir tous les matins, en espérant, qu’une bête féroce le dévore ou qu’un autre chasseur le tue, en lui décochant une flèche en plein cœur. Restée seule, elle fait monter le jeune ogre et folâtre avec lui. Il ne retourne au sous-sol qu’au retour du mari. Mais cette vie ne plaît pas au jeune ogre, il veut la femme sans l’homme. Ainsi, un jour il lui dit : “Je ne veux plus vivre en cachette, il est temps pour nous deux de vivre pleinement notre amour, mais nous ne pouvons réaliser nos vœux qu’en éliminant ton mari.” 

– “Je suis d’accord avec toi, mais comment faire ?” 

– Nous ne le tuerons pas ici, tu vas lui demander de te ramener l’eau pour laquelle se battent les montagnes. “Aman foughef tsnaghen id’ourar”. Cette mission lui sera fatale car tous ceux qui ont essayé ont perdu la vie.” Dès que son mari rentre, elle se met dans sa couche et lui demande l’eau, qui viendra au bout de sa “maladie”. 

Le mari ne sait pas où trouver cette eau, mais “amghar azemni”, lui, le sait. Il va le voir et lui dit : “Ma femme me demande, pour guérir, de lui ramener l’eau pour laquelle se battent les montagnes. 

– Demain, elle te demandera de lui ramèner la lune ! Ressaisis-toi, jeune homme, ne vois-tu pas que cette femme veut ta perte ? Elle a quelque chose derrière la tête ! 

– Je ne suis pas venu pour être blâmé, je ne suis venu que pour te solliciter de me dire où se trouve cette eau et surtout comment faire pour l’obtenir. 

– Tu es aveugle, mais puisque tu ne veux pas m’écouter, il faut procéder ainsi. Tu vas égorger une vachette que tu offriras aux aigles de la montagne. Une fois qu’ils seront repus, le père va remercier celui qui leur a donné pareil festin. Tu profiteras de cet instant pour lui dire que c’est toi ! 

Et il en fut ainsi. Le père des aigles le saisit dans ses serres, l’amène à l’endroit précis, en passant par les airs, car le passage sur terre est trop dangereux. Il faut être rapide comme l’éclair pour pouvoir y passer. L’obstacle franchi, le mari ramène à sa femme l’eau dans une outre prise à cet effet. Il enfourche son fidèle coursier et arrive chez lui à la nuit tombée. En entendant le cheval hennir, la femme et l’ogre qui pensaient s’être débarrassés à jamais de l’homme sont déçus. Ils s’attendaient à passer la nuit ensemble, mais leur projet tombe à l’eau. Le mari rentre en hâte il la trouve en train de gémir, il lui offre l’eau à boire. Comme par enchantement, elle se lève de sa couche et feint de remercier son mari, mais au fond d’elle-même, elle aurait aimé ne plus le revoir. Le jeune ogre a pris sa place dans son cœur et elle n’a que faire de lui. 

Le mari qui était très loin de soupçonner sa femme de mauvaises intentions, se croit tiré d’affaire. Elle va guérir et vivre avec lui de longues années et lui donner beaucoup d’enfants. Mais le pauvre se trompe lourdement. Voulant tuer son mari, sans se salir les mains ni celles de l’ogre, sur les conseils de ce dernier, elle lui demande, cette fois, de lui ramener : Ak’fay n-etseddad’eg choulit’ memmi-stchid s-chlaghem b-ayrad’. (Le lait de lionne dans une outre faite avec la peau de son petit, nouée avec des poils de lion arraché de sa moustache). Le mari qui croyait que sa femme était définitivement guéri est déçu, mais puisqu’elle ne s’est pas remise complètement, il allait lui ramener ce lait quitte à y laisser la vie. Et pour la troisième fois, le mari se rend auprès de l’amghar azemni (le vieux sage), et lui parle du lait de la lionne, dans une outre faite de la peau de son petit, nouée avec des poils de la moustache arrachés du museau d’un lion. “L’amghar azemni sourit et dit au mari aveuglé par l’amour qu’il éprouve pour une femme qui n’a pas l’air de l’aimer : Ay argaz ay amaghvoun Ik’essen d’i lekhla am sardoun. (Pauvre de toi, qui ne vois pas ce qui se passe dans ton dos ! Cette femme que tu chéris tant, va causer ta perte dans peu de temps). 

Ressaisis-toi, avant qu’il ne soit trop tard ! 

– Ce n’est pas des conseils que je veux, mais le lait de la lionne à même de guérir ma femme ! 

– Puisque tu es aveuglé et têtu comme une mule, voici comment devras tu prendre pour te procurer le lait. Tu devras prendre avec toi une chèvre que tu attacheras à proximité de la tanière des lions. Dès qu’ils entendront les bêlements, ils se précipiteront pour la dévorer. Tu profiteras de cet instant pour entrer rapidement dans leur gîte tu prendras uniquement deux lionceaux. Le plus frêle, tu l’égorgeras et l’écorcheras. Le second, tu le mettras dans la capuche de ton burnous, il te servira de monnaie d’échange”. Une fois repue, la lionne s’allonge à même le sol, et offre généreusement ses mamelles à ses petits, mais il n’y a que deux qui se présentent, les deux autres sont absents. La lionne rugit pour les appeler mais en guise des petits, c’est le mari mené par le bout du nez qui se montre à la lionne et dans la capuche de son burnous, son petit. “-Rends-le moi ! 

– D’accord, mais à la condition que tu me donnes un peu de ton lait, avec deux longs poils arrachés de la moustache du lion, ton compagnon ! 

– D’accord, mais fais-vite !” L’homme relâche le lionceau et se met à la traire en cachant de son burnous l’outre faite avec la peau du petit. Car, si elle savait qu’il avait tué son petit, elle ne l’aurait jamais laissé, au contraire elle l’aura dévoré. En possession du précieux lait, l’homme quitte le lieu à la vitesse de l’éclair. Il avait pris soin d’enterrer le corps du lionceau, mais on ne sait jamais. Ce n’est qu’après s’être très éloigné qu’il se sent en sécurité. La mission accomplie, comme il devait retourner chez lui en passant à côté de la demeure de “l’amghar azemni”, il décide de le voir, et même de lui demander de l’accompagner dans le cas où il ne verrait pas d’inconvénients. “Amghar azemni”, (le vieux sage), accepte l’invitation. C’est ainsi que les deux hommes prennent la route en direction de la demeure où les attend la femme “malade”. En arrivant près de l’habitation, le mari est étonné de voir plusieurs lampes à l’huile allumées. C’est jour de fête chez lui, et il ne sait pas pourquoi. Prudemment, ils descendent de son cheval et avancent à pied. Ils sont surpris de voir à travers les interstices de la porte, que la femme est parée comme pour une noce, mais qui est le mari ? Ils ne tardent pas à le savoir. A un certain moment, le jeune ogre monte du sous-sol paré comme “isli” (fiancé). Aucun doute n’est permis. Il tendent l’oreille et entendent : Thikelt agi d’ayen Argaz itchath ouayrad’ Thikelt agi ourd itsoughal (Cette fois-ci, c’est fini, le lion l’a dévoré, il ne reviendra plus, à nous la belle vie !). Ces paroles prononcées et répétées par le couple, font sur le mari bafoué, l’effet d’un couperet. “Amghar azemni” regarde le mari sans rien dire. Il hoche la tête, il a tout compris, mais c’est trop tard, le mal est fait ! Il ne lui reste qu’une seule chose : se venger ! Il ouvre la porte brusquement et d’un coup d’épée, bien ajusté, il tranche le cou de l’ogre avant qu’il ne puisse se rendre compte de ce qui lui arrive. La femme infidèle se réfugie dans un réduit pour échapper à l’épée, mais, méprisant son mari lui dit : Feldjalt im djigh vav d’yemma Feldjalt im l’mouts our tsegadagh ara Thekhd’aâdh iyi a lalla Thektharedh ouaghgzen Louah’ch Lekhla. (A cause de toi, j’ai abandonné mon père et ma mère. A cause de toi, j’ai bravé tous le dangers, toi misérable, tu m’as trahi avec un ogre de la forêt. J’ai bien envie de te tuer, mais ma vengeance ne sera pas assouvie, aussi, je te laisse en vie, afin que les remords te rongent jusqu’à la fin de ta vie ! Vas et que je ne te revoies plus !). Le mari trahi prend possession de toutes les richesses des ogres et rentre chez lui accompagné par amghar azemni qu’il ramène dans son lieu de retraite. Il demande pardon à ses parents, les fait profiter des richesses ramenées, puis se remarie avec une fille de la famille. Il vécut heureux avec ses parents et sa nouvelle femme qui lui donne beaucoup d’enfants. Our kefount ethhoudjay inou Our kefoun irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et le l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

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