Le fils chassé par son père

16 octobre 2015

Amachahou rebbi ats iselhou Ats ighzif anechth ousarou. (Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil). En général, ce sont les enfants qui sont prodigues et inconscients, mais dans le conte du terroir qui va suivre, c’est le contraire qui se passe. 

Jadis les mariages étaient arrangés par les parents. Les enfants, garçons ou filles n’avaient pas le droit au chapitre. Ils ou elles étaient tenus de se soumettre aux décisions prises. 

C’est ainsi que des êtres qui ne se sont pas connus et ne se sont jamais vus se trouvaient maris et femmes. 

Les mariages concoctés par les parents obéissaient le plus souvent à des intérêts bassement matériels. Les riches s’allient entre eux, les pauvres font de même, cela ne peut être autrement ! 

Un homme riche, propriétaire terrien de son état, attend impatiemment que son fils aîné atteigne la vingtaine d’années, pour lui proposer en mariage la fille d’un ami à lui. 

Le jeune homme, pas pressé de prendre une femme n’ose refuser. Il accepte le diktat de son père sans rechigner, mais il avait sa petite idée là-dessus. 

La nuit même de ses noces, il dit à celle qu’on lui a ramenée. 

– Aslama a thine id ibbi vava, mad’ kfoun id’rimen ig essâ amer ang’ar a lalla ? 

(Bienvenue à toi, ramenée par papa, quand il n’aura plus d’argent, peux-tu me dire comment on fera ?) 

Sur un ton badin la femme lui répond : 

– Our etsrouz’ aqarouï ik’ a ouina thamâichth thoura thella khas oiur tskhemim iouzekka ! 

(Ne te préoccupe pas trop, on a de quoi vivre pour le moment. Au futur cela ne sert à rien d’y penser !) 

Non satisfait de la réponse donnée, le lendemain-même le jeune homme renvoit sa femme sans autre forme de procès. 

Son père n’est pas content de sa décision. Il allait le brouiller avec son ami. Il est très préoccupé, d’autant plus qu’il ignore les raisons. Son fils ne lui donne aucune explication. 

Quelques mois plus tard, son père le remarie sans lui demander son avis. Une fois en présence de sa nouvelle femme, il lui pose les mêmes questions qu’à son ancienne épouse. Il obtient les mêmes réponses. 

Les mêmes réponses produisant les mêmes effets, la nouvelle femme fut répudiée. 

Son père est courroucé, son fils est en train de le salir aux yeux des riches comme lui, si le manège continue, personne n’acceptera de lui donner sa fille. 

Le manège continue de plus belle. Après l’échec de la septième tentative, le père est excédé. Il menace et jure solennellement que la prochaine fille qu’il lui ramènera, il ne la choisira pas parmi ses connaissances mais ça sera la fille qu’il rencontrera par hasard et, qui lui plaira, fût-elle la fille d’un mendiant. 

Le lendemain matin en enfourchant son cheval pour se rendre dans les champs, il rencontre sur son chemin une belle jeune fille pauvrement habillée. Il la toise du regard. Elle lui plaît. Sur le champ, il lui demande qui est son père. Elle lui répond : 

– D’akharaz n thadarth agi ! (C’est le cordonnier de cet hameau !) 

– Ayyouiyi ghorès a illi ! 

(Emmène-moi chez lui, ma fille !). 

Mis en présence du cordonnier, l’homme riche lui demande aussitôt la main de sa fille; l’homme est surpris par une telle demande qui lui semble insensée, mai il accepte d’emblée. Quelques jours plus tard le mariage est célébré avec la fille du cordonnier. La nuit de noce, le jeune homme lui pose les questions qu’il a posées à toutes celles qu’il a épousées et répudiées aussitôt. 

Contrairement aux autres femmes, la fille du cordonnier lui dit : 

– Meqvel vava-k’ as kfoun id’rimen anchemar ighalen d’i sin anekhd’em 

(Avant que la fortune de ton père ne s’épuise, il nous faut tous les deux travailler d’arrache-pied pour la renflouer). 

La réponse donnée par la huitième épouse remplit d’aise le jeune homme. Il décide de la garder, elle est digne d’être sa femme. 

Son père s’attendait à un autre échec, mais il n’en fut rien. Les premiers jours il est content que son fils accepta, mais peu à peu il est étonné de son choix. Furieux, un jour il lui dit : 

– Thigad’ isân our thents vghidh ara thamaghvount thedjit’eth our-k fhimagh ara ! 

(Les filles de riches tu les a chassées, l’indigente tu l’a gardée je ne comprends rien à ce que tu fais !) 

– De toutes les filles que tu m’as fait épouser, c’est la seule qui me plaît ! 

– Tu est un idiot, tu est fou ! Je ne veux pas d’un fils comme toi sous mon toit ! Prends cette femme qui te plaît et disparais d’ici ! Que je ne vous revois plus ! 

Le jeune homme quitte aussitôt le domicile familial et s’en va à l’aventure accompagné de sa femme. 

Ils vont par monts et par vaux sans le sous. Un jour, ils avisent sur leur chemin une belle maison, le jeune homme demande du travail au propriétaire qui l’engage aussitôt pour dépiquer les céréales fauchées et posées en tas près de l’aire à battre le grain (annar). 

Sa femme aide la maîtresse de maison. En allant puiser de l’eau pour faire plus vite, elle suit un chemin tortueux parsemé de ronces (inijel) sur les épines, elle remarque des touffes de laine accrochées, elles proviennent des moutons qui passent par là. 

Elle les enlève une à une, jusqu’à obtenir une quantité considérable. Elle enlève sa robe du dessus, les entasse en ballot, qu’elle met sur son dos et ramène le tout à la maison. 

Encouragée par sa trouvaille, elle lave la laine, la carde et la file sur une quenouille (iz’d’i) prêtée. 

En quelques jours des bobines de fil de laine de qualité sortent de ses mains de fée. le jour du marché elles sont vendues par le mari, ce qui lui permet de palper quelques pièces, ce qu’il n’a pas fait depuis fort longtemps. 

Le couple s’attelle à la tâche et économise le fruit de leur travail. 

Au bout de quelques années, ils deviennent riches respectés et adulés de toute la population qui les cite en exemple. Dans toute la contrée on ne parle que d’eux et de leur réussite. 

Un jour, le chef de la localité meurt subitement. Comme il n’avait pas d’enfants pour lui succéder, tous les hommes lorgnent sur ses richesses et sa place. 

Ne pouvant se mettre d’accord ils en viennent aux mains. C’est alors que de « thajmaâth » (agora) pour mettre fin à la fitna (discorde) quelqu’un dit à la haute voix : 

– Désignons le jeune homme venu d’ailleurs pour lui succéder ! 

Pour se neutraliser les uns les autres, ils acceptent la proposition. Et c’est ainsi que le jeune homme devient le nouveau chef de la localité. 

Pendant ce temps le père du jeune homme rongé par les remords broie du noir à longueur de journée. Il regrette amèrement l’instant où il avait chassé de chez lui son fils et sa bru (thislith is). 

A la mort de sa femme, incapable de faire fructifier ses biens, il se met à dilapider ce qu’il avait. Petit à petit il vend ses champs et sa maison. De déchéance en déchéance, il finit mendiant (amatsar). Ne pouvant affronter les regards méprisants des gens qu’il avait jadis à ses pieds, il s’exile dans une autre contrée. 

Le hasard l’amène à la localité administrée par son fils, le jour même du marché. Il s’adosse au mur devant la porte et tend la main aux passants. Son fils monté sur un cheval immaculé passe devant lui quand soudain il entend : 

– Thine rebbi a l’moumnine ! 

(La part de Dieu ô croyants !). 

Il arrête son cheval et écoute, le mendiant qui continue sa litanie. 

Cette voix il l’a connaît. C’est celle de son père, il ne peut se tromper. 

Le mendiant était en guenilles avec cheveux sales et barbe en bataille. Il descend de cheval, sans lui dire un mot il l’entraîne à l’écart, le met sur une mule et l’entraîne chez lui. Il demande à sa femme de préparer un bon couscous garni de viande d’agneau. Il invite le mendiant à se laver et à s’habiller avec des vêtements propres qu’il lui remet. Contrairement à lui son père ne reconnaît pas sa voix, il était à cent lieues de se douter que ce riche monsieur n’est autre que son fils chassé de chez lui il y a plusieurs années. 

Après avoir savouré le couscous, son fils lui dit : 

– Tu vas passer la nuit chez moi, tu profiteras pour me dire d’où tu est venu et pourquoi tu es devenu mendiant. Je suppose que tu ne l’étais pas auparavant ! 

Sans se faire prier le mendiant raconte l’histoire de sa vie sans omettre aucun détail. A la fin de son récit le jeune homme dit à sa femme ahurie : 

– D’vava ouagi ! 

(Cet homme est mon père !) 

Le mendiant est surpris : 

– Ce n’est pas vrai lance-t-il ! Mon fils est mort. Il a disparu depuis des années. 

– Non père je suis bel et bien ton fils. Cette femme que tu vois là, c’est la fille du cordonnier, c’est nous que tu as chassés ! Si je suis devenu aujourd’hui riche et adulé de la population, c’est en partie grâce à elle. C’est une épouse modèle. je l’ai mise à l’épreuve le jour de mes noces. De toutes les femmes que tu m’as ramenées c’est la seule qui m’a dit je vais t’aider à affronter les aléas de la vie en retroussant mes manches et en restant toujours à tes côtés, contre vents et marées. Le résultat le voici ! 

Le père penaud se met à pleurer et à supplier son fils de lui pardonner pour tout le mal qu’il lui a fait. 

– Je te pardonne père, cesse de pleurer ! Ayen iâddan iâdda (Ce qui est passé est passé. Le père serre son fils et sa bru contre lui tout en continuant à pleurer mais cette fois-ci des larmes de joie. 

« Our kefount ethhoudjay inou 

Our kefount irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine. » 

(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes). 

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