Le tailleur de pierres (Anedjar b ouvladh)

16 octobre 2015

Amachahou rebbi ats iselhou. Ats ighzif anechth ousarou (Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil). Dans les contes kabyles le personnage de Teriel (l’ogresse) est presque toujours assimilé à méchanceté, peur et horreur Dans l’histoire du terroir qui suit on a affaire à une Teriel plus humaine que d’habitude. Il y a très longtemps de ça, dans une contrée, vivait un homme aisé. Il avait pour progéniture trois filles d’une inégalable beauté.

Il marie l’aînée à un marchand d’huile (tajar n zith) la puînée à un marchand de blé (tajar g irden). Quand vient le tour de la cadette de se marier, les fiancés affluent chez lui. Son père lui demande son avis:” Il est grand temps de te marier, ma fille, Choisis le garçon qui te plait et il deviendra ton mari”. Contre toute attente, la cadette lui dit: “Si tu veux faire mon bonheur, donne-moi au tailleur de pierres (anedjar b ouvladh). J’ai déjà parlé avec lui, il me plaît. Il n’attend qu’un mot de moi, pour venir me demander”.

-Ma fille, éloigne de ton esprit cette idée farfelue et insensée. Le tailleur de pierres c’est le déshonneur pour toute la famille. Il n’a rien à te donner, à part les poussières et les plaies causées par les aspérités des rochers, à soigner ! Réfléchis bien à ce que tu dis. Une telle union, je ne peux l’accepter. Je serai la risée de toute la contrée. C’est beaucoup me demander!”

Déçue par le refus de son père, la cadette n’en fait qu’à sa tête. Elle quitte la maison et se rend à la carrière de pierres et demande au tailleur, surpris, de l’épouser. Le beau jeune homme lui dit: “Je veux bien t’épouser, mais je ne suis qu’un misérable sans richesse et sans avenir. Je ne peux rien t’offrir. Si je t’épouse tu vas souffrir. Il y a de meilleurs partis que moi. Va, laisse-moi”.

-Si tu consens à m’épouser, le fait de t’aimer me suffira !”

Après avoir vainement tenté de la dissuader, le tailleur l’épouse malgré le refus catégorique de son père.

Le mariage non désiré par tous les membres de la famille provoque la ruptures entre la cadette, ses parents et ses deux sœurs mariées.

En guise de maison, le tailleur l’installe dans sa chaumière. Pour nourriture, quelque figues pourries et de la galette d’orge difficile à avaler.

Le temps suivant son cours, la cadette n’avait même pas une seule goutte d’huile pour peigner et lisser ses cheveux rêches et hirsutes. A l’époque, l’huile d’olive était utilisée par les femmes pour soigner leurs cheveux et les rendre moins rebelles. Elle était tellement pauvre qu’elle n’avait même pas un fragment de miroir pour se regarder. C’est à thala (la source) dans le reflet, qu’elle s’aperçoit qu’elle ressemble beaucoup plus à une sorcière qu’ à une jeune mariée. Elle pousse un cri d’effroi et se dit : “Si mon mari me voit ainsi, il va cesser de m’aimer!” Elle se rend aussitôt chez sa sœur aînée pour quémander un peu d’huile d’olive

 

– “efkiyid chouit n zith a outma aâzizzen

 

ad’ segmagh imaniou iouargaz iou ghlalyen (Donne moi peu d’huile chère sœur pour que je me fasse belle pour mon seigneur !)

 

-Tu as épousé ce misérable tailleur contre notre gré. Tu n’es plus ma sœur; Va-t-en d’ici”.

 

Quelques jours plus tard, il ne s’agit plus de beauté, mais carrément de manger. Le tailleur n’ayant pas été payé, il n’y avait rien à se mettre sous la dent chez lui. La cadette se rend chez la puînée et lui dit :

 

– “efkiyid chouit b- aren a outma aâzizen

 

our nesaî achou ara netch dayen !

 

-Donne moi un peu de semoule, chère sœur, nous n’avons plus rien à manger !

 

-Tu as épousé ce tailleur de pierres contre notre volonté assume ton choix. Je ne peux rien te donner. Eloigne-toi d’ici !”

 

La cadette quitte les lieux, le cœur endolori. Personne ne veut l’aider. Elle se rend dans les champs, ramasse des plantes comestibles (avazine) et les cuit pour son mari. Malgré toutes les difficultés rencontrées, la cadette ne baisse pas les bras. Elle aime toujours son mari et lui aussi.Mais l’amour ne peut vaincre la faim. Si cela continue, ils vont mourir d’inanition.

 

La cadette pleure comme une source (thetsrou am thala). Quand son mari rentre, elle s’essuie les yeux, mais ils sont tellement rouges que son mari s’en aperçoit. Il réfléchit à la situation, et se dit : «Je suis la cause de son malheur, moi misérable tailleur !

 

La seule façon de lui rendre le sourire et de la rendre heureuse, c’est de la quitter.

 

Ne me sachant pas avec elle, ses parents compatissant, reprendront soin d’elle ! Dès demain, j’irai dans la forêt (Thiz’gi ou Amalou), et je me ferai dévorer par Teriel ! (l’ogresse).»

 

Le tailleur passe une nuit blanche à côté de son épouse. De temps en temps, il se met à penser à haute voix. Il la réveilla plusieurs fois. Elle ne se rendort pas. Elle essaye de capter ce qu’il dit.

 

A l’aube, contrairement à ses habitudes son mari ne prend ni son marteau (Thafdhisth) ni son burin (Amenqar). Il quitte sa chaumière la douce, mais c’était sans compter sur la vigilance de sa femme qui s’était doutée qu’il mijotait quelque chose, qu’il ne voulait pas qu’elle sache pour le moment.

 

Elle le suit de loin et le voit entrer dans la forêt. A un certain moment elle marche sur une branche morte. Le craquement le fait se retourner, il accourt vers elle et lui dit :

 

“Anfiyi a illi-s medden

 

Ayi thetch teriel negh ouaghzen !

 

Laisse-moi, ma chérie, laisse-moi me faire dévorer par les ogresses ou ogres de la forêt !)

 

– Il n’est pas question que tu te fasses dévorer seul, si telle est ma destinée, je vais me faire dévorer, moi aussi !»

 

Ne pouvant lui faire changer d’avis, le tailleur l’emmène avec lui.

 

Arrivés dans une clairière au milieu de la forêt, la femme du tailleur trop fatiguée tombe dans les bras de Morphée. Il veille sur elle, quand soudain, il entend des craquements et des bruits de pas pesants se diriger vers lui. Dès qu’il aperçoit Teriel (l’ogresse), il court vers elle et lui dit :

 

«- Jida Teriel a thamet’touth elâli

 

Etchiyi kan nekini

 

Anef i thine aâzizen felli

 

Ats rouh d’i laman rebbi !

 

-(Grand-mère, ogresse, femme de bonne lignée dévore moi seul. Epargne ma bien-aimée, laisse la partir en toute sécurité !

 

– J’accepte ce que tu me dis, ferme les yeux !» Le tailleur tremble de peur, c’est sa dernière heure. Il reste dans cette attitude quelques instants mais rien ne se produit. Soudain, il entend des beuglements et des bêlements autour de lui. Il ouvre les yeux, l’ogresse a disparu. A sa place il y a des bœufs et des moutons. Il crie de joie et va réveiller sans ménagement son épouse qui dormait profondément. «Ça y est, nous sommes riches ! Teriel ne m’a pas dévoré, et elle m’a laissé ses animaux en cadeaux !»

 

L’homme et la femme ramènent les bêtes à leur chaumière. Au bout de quelques années, les bêtes se multiplient pour devenir troupeau. Ils vendent le surplus et avec l’argent gagné, se construisent une belle maison et s’achètent des terres.

 

Comme le monde ne cesse jamais de tourner, la roue de la fortune change de place. Le marchand d’huile, mari de l’aînée fait faillite suite à la sécheresse, qui dura plusieurs années. Il en est de même du marchand de blé. Réduits à la mendicité, ils quémandent en famille.

 

Un jour, l’aînée et la puînée se rendent à la maison du tailleur méprisé, et demandent l’aumône à la maîtresse de la maison. En venant à leur rencontre, leur sœur cadette les reconnaît. Elle les toise du regard et leur dit :

 

“Âslama enk’ount a isma

 

Chedda eth âdda

 

Dounith thedouir am rouda !

 

D’laouan andar d’i lanha.

 

(Bienvenue, mes chères sœurs.

 

Les épreuves sont terminées.

 

La roue a tourné

 

C’est le moment de vivre la paix !).

 

En reconnaissant leur sœur cadette, les deux sœurs marquées par la vie, demandent pardon, en leur nom et au nom de leurs parents décédés.

 

En quelques heures, les différences sont aplanies, contrairement à elles, qui ont refusé de l’aider par le passé. La cadette est disposée à leur venir en aide jusqu’à ce qu’elles puissent redémarrer dans la vie. Les sœurs se réconcilient.

 

Our Kefount Eth h’oudjay, inou our kefoun ird’en tsenzine. As n’elaid anetch askoum ts h’emzine ama ng’a thiouamz’iz’ine (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent blé et l’orge. Le jour de l’Aïd nous mangerons de la viande et des pâtes jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes.

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