Les aventures de Ali

16 octobre 2015

Amachahou rebbi ats iselhou. Ats ighzif anechth ousarou. (Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil). Il était une fois un homme prénommé Ali qui avait pris pour épouse une jeune femme de sa famille. Le couple vivait dans un dénuement complet. Un jour qu’il put avoir un peu d’argent, Ali se rend au marché dans l’intention d’acheter un « bouzelouf » (tête de mouton). Lui et sa femme adorent en manger. Cela fait des mois qu’ils n’ont pas goûté à ce met fort prisé.

Comble de malheur, ce jour-là ig’ezaren (les bouchers) se sont donné le mot. Il n’y avait pas une seule tête à moins d’un douro (pièce de cinq centimes).

Ali n’avait en poche que quelques centimes. Après avoir fait maintes fois le tour des bouchers, la mort dans l’âme, il se rabat sur quatre pieds de bœuf et un bout de queue plein de graisse.

Faute de grives, il va se contenter de merles.

Les pattes n’ont pas le goût du « bouzelouf » elles s’en rapprochent un peu.

Sa femme qui s’attendait à manger du « bouzelouf » est déçue mais qu’à cela ne tienne, les pieds de bœuf feront aussi l’affaire. Ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. En un tournemain, les pieds et le bout de queue étaient cuits. Le fumet qu’ils dégagent exhale dans le taudis une odeur énivrante qui donne l’eau à la bouche de la femme. Elle regarde à l’extérieur pour appeler son mari, mais elle ne le voit pas. Son estomac crie famine, ne résistant pas, elle se précipite sur le bout de queue et l’avale en quelques bouchées. Mise en appétit, elle dévore un pied, puis deux. Sur le point d’entamer le troisième, Ali rentre en trombe pour manger. Il avait recommandé à sa femme de ne pas toucher au bout de queue.Quand il ne le voit pas dans le plat, il s’écrit :

– Andats chouit’ enni n jah’limth ? (Où est le bout de queue ?)

– Oulach thajh’limth ay argaz ! (Il n’y a pas de queue ô mari !)

 – Tu te moques de moi ou quoi ! Je la veux tout de suite !

 – Il n’y a plus de queue. Je crois que c’est le chat qui l’a mangée !

 – Si tu ne me la ramènes pas tout de suite « ad’ mthagh » (je vais mourir) !

 – Le chat l’a mangée, je l’ai vu sortir en courant .

 – Dans ce cas je vais mourir et te laisser !

 Ali tombe à terre et fait le mort.

 Sa femme court avertir les voisins. Ils viennent tous et demandent à Ali de se relever.

 – Non, je ne veux pas me relever. Emmenez-moi au cimetière et enterrez-moi !

 Jouant le jeu suivant ses vœux, Ali est amené au cimetière pour y être enterré. En cours de route, il entend le boucher qui lui avait vendu les quatre pattes et le bout de queue, dire à son propos :

 – Pauvre malheureux, pas plus tard qu’hier je lui ai vendu des pieds de veau et un bout de queue !

 Entendant le mot bout de queue, Ali salive se lève de la civière et dit au boucher, ahuri :

 – Où est mon bout de queue ?

 Surpris, le boucher eut le souffle coupé. Son cœur flanche. Il meurt sur le coup. La tombe destinée à Ali change de locataire, c’est le boucher qui est enterré.

 On le blâme pour la mort du boucher. C’est sur ses pieds qu’il rentre chez lui.

 A sa femme, il dit :

 – C’est à cause du bout de queue que tu as mangé que le pauvre boucher est mort et enterré !

 – Je regrette, mon ami, dis plutôt que c’est à cause de ta lubie que ce pauvre homme est mort et enterré !

 – Je crois que nous sommes tous les deux des fous (d’imahval). Pour ne pas envenimer la situation entre nous, je vais m’absenter quelques jours et courir la contrée pour voir s’il y a des gens aussi fous que nous !

 – Bonne idée, cher ami, vas-y !

 Ali se met à errer par monts et par vaux. Un jour il trouve une femme en train de puiser de l’eau avec une cupule de gland (thachachith ouveloudh)

 Il la regarde faire, hoche la tête et il dit :

 -Thamet’touth agi thahvel,  Am thine isâigh d’eg oukham,  O k’houç its laâqel,  S-ethchachith thetsâmir aman ! (Cette femme n’a pas tous ses esprits, elle est pareille à celle que j’ai épousée, elle est simplette. Avec une cupule, c’est difficile de remplir un ustensile).

 Ali passe son chemin et rencontre une jeune femme qui avait passé toute une nuit à danser dans une fête.

 Exténuée, elle rentre chez elle pour somnoler. En voyant Ali, elle lui dit :

 – Snagh-k k’etchini ! (Toi, je te connais !) Mon sac plein de bijoux m’alourdit, je te le confie. Ce soir, j’enverrai mon mari pour le récupérer. Mais en arrivant chez elle sans son sac son mari la gronde. Pour le rassurer, elle lui dit :

 – Efkigh-th i Ali ! (Je l’ai laissé chez Ali !)

 – Qui est cet Ali ?

 – Moi, je le connais !

 – Si toi tu le connais, moi je ne le connais pas ! Où est-il en ce moment ?

 – Je l’ai laissé sur le chemin, il ne doit pas être bien loin. Il est habillé d’un burnous blanc et porte un panier à provisions (thaqechoualt)

 – Idiote que tu es, si je ne retrouve pas tes bijoux, je vais te répudier. On ne confie pas ses bijoux à un inconnu !

 L’homme en colère selle sa mule (zayla) et part au galop à la recherche d’Ali. Ce dernier, le voyant venir à vive allure pense que c’est le mari. Sans être vu, il jette son panier derrière un buisson et rebrousse chemin.

 En le croisant, le mari lui dit :

 – N’as-tu pas rencontré un homme habillé à peu près comme toi, mais portant dans ses mains un panier ?

 – Je viens juste de le rencontrer, il a pris un raccourci. Si tu veux le rattraper va à pied, traverse ce champ de blé.

 L’homme ne se fait pas prier. Pour ne pas être gêné, il confie à Ali sa mule qu’il récupérera après. Il se lance à la poursuite d’Ali qu’il ne rattrapera jamais. Ne sachant plus où le chercher, désappointé le mari abusé retourne sur ses pas pour récupérer sa monture. Arrivé à l’endroit où il avait laissé Ali avec sa mule, il est surpris de ne pas le trouver.

 Naïf qu’il était, il se dit qu’il est allé faire un tour avec sa mule et qu’il ne tarderait pas à revenir. Il l’attend. Comme la nuit commençait à tomber, pour se signaler, il allume un feu à côté d’un champ de blé.

 En voyant de loin le feu allumé, le propriétaire du champ se dit que celui qui l’a allumé est un fou qui risque de brûler tout.

 Aveuglé par la colère, il se précipite sur lui et avec un gourdin, lui fracasse la tête pour le punir

 Pendant que le drame se jouait, Ali rentrait tranquillement chez lui à dos de mule et avec le sac plein de bijoux. Sa traversée du désert l’a enrichi. A sa femme il dit :

 – Oufigh thilaouin tsimahval;  oufigh irgazen d’-imahval,  ak’ther negh d’imahval

 (J’ai trouvé des femmes folles, des hommes fous, plus fous que nous… Puisqu’on est fous et les gens sont fous, restons entre nous !).

 « Our kefount ethhoudjay inou  Our kefount irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine. »

 (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

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