L’oiseau accusateur

17 octobre 2015

Amachu Rebbi ad tt-yesselhu ad tiɣzif anect n usaru. (Que je vous conte une histoire. Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).

Commettre un crime en tuant son propre enfant, rien que pour assouvir sa boulimie de viande, paraît incroyable mais c’est ce qui est arrivé il y a très très longtemps d’après cette histoire du terroir. Dans une contrée vivait un couple qui avait deux enfants, une fille âgée de sept ans prénommée Chavh’a et un petit garçon âgé de cinq ans prénommé Youva.

En ces temps très reculés, les femmes craignaient plus que tous leurs maris. Ils avaient tous les droits sur elles. A la moindre incartade, elles étaient battues, humiliées et répudiées sans autre forme de procès.

Elles se tenaient toutes tranquilles et faisaient tout pour satisfaire leurs conjoints. Les mères conseillent à leurs filles de ne jamais contrarier leurs maris. Elles doivent tout supporter, l’essentiel est de garder son foyer, qu’importe les sacrifices à endurer. C’est ainsi qu’une fois le père de Chavh’a et de Youva dit à sa femme qu’il allait recevoir des invités qui sont très chers pour lui à déjeuner. Il lui recommande de rouler du couscous bien frais, d’enlever de “Tabḥirt” (jardinet) “Taɣeddiwt” (cardons) qu’il adore. Quant à lui, il ramènera du marché de la viande de veau et des épices pour relever la sauce du couscous. Il part très tôt au marché hebdomadaire et revient aux environs de dix heures. Quand ses invités arriveront, ils trouveront de quoi se régaler et parleront de ce couscous à leurs amis.

A l’époque, les maris se vantaient beaucoup des prouesses de leurs femmes et de leurs manières à rendre le couscous suave. On disait d’ailleurs de celles qui arrivaient à rendre délicieux le couscous roulé “Tifettusin-nsent tsiâbajin” (leurs mains sont des mains de fées).

Avant que les invités n’arrivent, le mari va couper du bois dans la forêt. Sa femme s’occupe du manger. Elle prépare tous les ingrédients nécessaires et les met dans la marmite avec de la viande pour cuire. Au bout de quelques instants, la marmite dégage un délicieux fumet qui taquine les narines de la maîtresse de maison. Elle goûte le sel, le trouve un peu fade, elle rajoute une pincée.

Elle goûte ensuite la viande, elle la trouve cuite à point. A l’époque comme de nos jours d’ailleurs, la viande était trop chère, les gens ne la mangeaient que lors des fêtes et même lors de ces fêtes, les femmes étaient quasiment exclues. La maîtresse de maison n’avait pas mangé depuis des mois un seul morceau de viande et voilà qu’aujourd’hui dans sa marmite cuisent des morceaux qui lui donnent le tournis. Son mari ne lui a pas dit combien de personnes il allait recevoir, cela l’angoisse. Elle sait par expérience que les invités profitent de ces moments-là pour manger plus que de raison. Son mari, qui a compté les morceaux, ne permettra pas qu’elle en mange.

Elle mangera s’il en reste, sinon devra se contenter de la sauce. Elle ouvre le couvercle de la marmite et retire un morceau tout chaud et l’avale. Prenant goût, elle ingurgite un autre, puis un autre et, s’aperçoit avec effarement, qu’il n’en reste plus rien. Affolée elle ne sait plus où donner de la tête, le soleil sera bientôt au zénith et les invités seront bientôt là et de la viande, il n’en reste point. Sur ces entrefaits entre le petit Youva. Pour éviter le courroux de son mari, elle le tue et le débite en morceaux qu’elle met dans la marmite.

Au milieu de la journée le couscous et la viande étaient fin près. Le mari arrive accompagné de ses invités, ils savourent le couscous qu’ils mangent avec grand appétit. Chavh’a ne veut rien manger, elle devine ce qui s’est passé mais se garde bien d’alerter son père. Sa mère est capable de la tuer aussi. Après s’être rassasié avec ses invités, le père s’inquiète de l’absence de Youva. Pour le rassurer, elle lui dit que sa grand- mère maternelle est venue le chercher après son départ au marché.

Une fois les invités repus et partis, la mère ramasse les os du petit pour les donner aux chiens, mais Chavh’a qu’elle chargea de les jeter les cacha dans la gandoura de Youva dans un réduit. Dès qu’elle trouve un moment de répit, elle pleure dessus de dépit. En tombant sur les os les larmes, leurs donnent vie par la volonté du Très Haut. Les os se métamorphosèrent en un magnifique oiseau qui se met aussitôt à chanter cette litanie.

 »Yemma tezla-yi

Baba yečča-yi

Uletma ɛzizen fell-i

Tejmeɛ-d iɣessan-inu »

(Ma mère m’a égorgé Ma chère sœur a ramassé mes os).

Cela fait plus de sept jours que le père n’a pas de nouvelles de son petit garçon. Il veut le voir, et ordonne à sa femme d’envoyer un émissaire chez sa mère pour le ramener la journée même. Acculée, elle avoue à son mari que d’après sa mère Youva a disparu. Il entre dans une rage folle et menace sa femme de mort et lui dit :

– Si je ne le vois pas ici demain après-midi, je te tuerai !

La femme est morte de peur, mais elle n’est pas prête à avouer son forfait. C’est pendant une de ses séances de torture morale que le petit oiseau perché sur un olivier fait retentir sa triste litanie. Plus aucun doute pour le pauvre père, le crime est clair et il est signé. Il se lève pour aller chercher une hache pour lui fendre la tête quand, tout à coup, un autre chant de l’oiseau l’arrête voici ce qu’il dit :

– Ur tt-neqq ara a baba, ad tettru wultma, ad tgujel Cabḥa (Père ne la tue pas Ma sœur pleurera et deviendra orpheline).

Le père obéit à l’oiseau mais ne s’empêche pas de battre à mort cette femme inconsciente qui n’a pas hésité à mettre fin aux jours de son petit, rien que pour satisfaire sa boulimie. Il laissa vivre sous son toit la criminelle, rien que pour qu’elle puisse élever sa fille mais les rapports dans la famille sont devenus conflictuels et empoisonnés. La joie de vivre est partie avec la mort du petit. Personne ne pouvait oublier Youva malgré le passage des ans.

 »Ur keffunt tḥujay-inu ,ur keffun yirden d temẓin.. Ass n lɛid ad nečč aksum d temẓin alamma nga-d tiwenzizin. » (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

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